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Or les documents et les sources de l’histoire juive consistent presque exclusivement dans les livres bibliques. Ces écrits ont été, depuis un siècle, particulièrement dans les écoles de l’Allemagne et de la Hollande, mais chez nous aussi, l’objet de travaux nombreux et approfondis, qui ont mis en lumière leur caractère, leur composition, la nature exacte de leur contenu, leur valeur en tant que documents historiques, en qualité de témoins des âges reculés. Suffirait-il donc à notre tâche de s’entourer des meilleurs travaux de l’érudition contemporaine et d’en reproduire la substance en s’attachant à dégager l’enchaînement des faits et des époques ? Celui qui se sera fait l’élève des Ewald, des Reuss et des Kuenen, sera-t-il en mesure de présenter un résumé de l’histoire juive ancienne, qu’on puisse accepter avec confiance, sinon dans tous les détails, au moins dans ses traits essentiels ?

Nous l’avions espéré dans le principe ; malheureusement, à mesure que nous nous enfoncions dans notre examen et que nous nous imposions l’obligation de vérifier d’après les textes les assertions de nos devanciers, nous voyions les points d’interrogation se dresser, les doutes se multiplier, et la confiance que nous avions mise dans nos guides s’évanouissait par degrés. Nous nous rendions compte que nous avions beaucoup appris à leur école, mais que, pour profiter davantage de leurs leçons, il fallait se résoudre, instruit par leur propre exemple, à leur fausser compagnie en bien des endroits comme ils avaient fait eux-mêmes à l’égard de leurs devanciers. Bref, nos réserves et nos points de dissentiment avaient pris une importance, une gravité, qui nous mettaient dans la nécessité de recommencer l’œuvre à partir des fondations. C’était là une entreprise très lourde et nous ne pouvions l’aborder qu’après nous être mis nous-même au clair sur la méthode à suivre.

Quelle est, en effet, dans ses traits essentiels, la nature des écrits bibliques qui constituent les documents de l’histoire juive ancienne ? Ce sont des œuvres rédigées à bonne distance des événements par des docteurs et des théologiens, qui sont résolus à tirer des récits du passé des leçons morales à l’usage de leurs contemporains. Les livres dits historiques de la Bible, ceux des Rois comme de la Genèse ou de l’Exode sont des écrits destinés à instruire, à avertir, à édifier. Leurs auteurs n’ont pas pris la plume ad narrandum, mais ad probandum. C’est là assurément une remarque qui ne date pas d’hier ; mais on a hésité jusqu’à ce jour à en tirer les conséquences, parce qu’elles sont, en effet, de nature à modilier singulièrement les idées en cours et que, quoi qu’on en dise, il est très scabreux doser s’attaquer à des points consacrés par une longue tradition.

Donnons-en un exemple. — La sortie ou exode d’Égypte est-elle un fait positivement historique ? Commençons par rappeler que la réalité de l’événement n’est appuyée par aucun document profane, que les monuments de l’Égypte continuent de garder sur ce point le silence de Conrart et que le fameux récit de Manéthon, que l’on s’afflige de