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coure souvent le danger de reporter à une époque reculée ce qui est soit la conception, soit la pratique d’un temps plus récent. Pour dire la chose en d’autres termes, nous sommes convaincu que la Bible n’a reçu sa forme définitive qu’à l’époque qui a suivi la captivité de Babylone, que le tableau qui nous y est présenté des époques antérieures à la captivité, a reçu fatalement l’empreinte des idées chères à ses rédacteurs et qu’il est devenu, par conséquent, très délicat d’y distinguer les éléments véritablement anciens.

Quand nous abordons l’époque de la restauration ou du second temple, les faits historiques sont rejetés dans l’ombre, tandis que le chapitre des idées, des institutions et de la littérature prend une importance capitale. C’est, en effet, dans les siècles qui séparent Zorobabel et Néhémie de l’insurrection des Machabées, que le judaïsme s’est organisé d’une façon durable ; c’est alors qu’il a pris véritablement conscience de lui-même et qu’il a commencé cette propagande merveilleuse, qui devait frayer les voies au christianisme. Nous avons, en conséquence, donné tout le développement nécessaire à l’étude des institutions et des doctrines, dont la loi dite de Moïse est l’incomparable document ; nous avons fait ressortir à la fois la doctrine religieuse très forte dont les livres bibliques sont l’expression et le procédé vraiment génial qui a donné naissance à l’épopée des patriarches et de la sortie d’Égypte. Nous avons relevé avec une insistance particulière le caractère des pages qui se lisent au commencement de la Genèse, pages qui sont peut-être les plus mal comprises de tout le recueil sacré.

On cherche, en effet, dans les récits de la création, de la chute, du déluge, de la filiation et de la dispersion des peuples, d’antiques souvenirs, des débris de vieilles traditions. Nous soutenons, au contraire, que c’est, à certains égards, ce qu’il y a de plus récent, de plus moderne dans la Bible. Qui donc pouvait s’intéresser à des questions concernant l’organisation du monde, la condition générale de l’humanité, la répartition des peuples et leur classement, sinon des hommes parvenus à un haut degré de culture et accoutumés à francliir les bornes étroites de la nationalité ? C’est là, en effet, le caractère de ces pages étonnantes qui, bien qu’elles occupent la première place dans la Bible et précisément parce qu’elles occupent cette place-là, marquent le suprême effort de la pensée juive, dépassant le cercle des intérêts nationaux pour se préoccuper du sort de la société humaine :

Homo sum et humani nihil a me alienum puto.

Le dernier chapitre du livre est consacré à un bref exposé de la littérature biblique. De l’ensemble de nos développements doit se dégager, à moins que l’expression n’ait trahi notre pensée, l’idée que la Bible est l’œuvre consciente et réfléchie d’un mouvement d’idées religieuses et philosophiques de premier ordre. C’est dans les siècles seuls qui précèdent l’insurrection des Machabées que nous trouvons réunies les conditions favorables à un pareil travail.