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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

Nous sommes loin de nous flatter de l’espoir que des thèses qui, à tant d’égards, contrarient les opinions reçues, soient acceptées sans contestation. On s’alarmera du rajeunissement que nous infligeons aux livres bibliques et de notre refus d’admettre la conservation d’écrits antérieurs à la captivité. On dira que nous appauvrissons l’histoire juive en niant qu’on puisse refaire l’évolution des idées au cours de dix ou douze siècles par la distinction entre les diverses législations et les états successifs des livres. On verra de mauvais œil peut-être que nous aboutissions à reconstituer dans une grande mesure l’unité de pensée de la Bible. On s’insurgera surtout contre la prétention de faire des temps de la restauration une époque vraiment créatrice, un moment où la spéculation théologique arrive à son apogée et prend décidément conscience de sa force.

Ces objections et ces résistances ne prévaudront pas contre un sentiment intime, que de longues et consciencieuses études de détail, poursuivies pendant bien des années, ont confirmé en nous. Il s’agit, en deux mots, de savoir si le judaïsme, destiné à devenir au prix d’une légère transformation le christianisme, c’est-à-dire la religion du monde civilisé, il s’agit de savoir si cette « religion de la Bible », comme nous l’avons appelée plus haut, est sortie au viiie siècle avant notre ère, d’une petite principauté politique, étranglée entre les Phéniciens et les grandes puissances du bassin du Tigre et de l’Euphrate et que gouvernaient les successeurs de David, ou si elle est le fruit de la spéculation et des recherches du judaïsme des ive et iiie siècle avant J.-C, devenu une véritable communion religieuse et vivifié par ses relations avec le dehors, qui excitèrent sa pensée et lui donnèrent le sens du monde civilisé. C’est ce monde civilisé que la Bible a la prétention de conquérir ; c’est ce monde qu’elle a conquis. M. Ernest Havet, à côté d’assertions contestables, a eu le grand mérite de déclarer qu’il n’était pas possible de creuser un fossé de huit siècles entre le prophétisme et le christianisme, son héritier direct. Malgré beaucoup de résistances, nous pensons que cette thèse finira par prévaloir.

Dans un autre volume, d’allures plus vives et plus brèves, nous avons repris quelques-unes des thèses qui viennent d’être indiquées. Les résultats de l’exégèse biblique[1] ont pour objet de déterminer à quelles conclusions aboutit le travail critique des cent dernières années appliqué aux livres sacrés. Partant de cette donnée incontestable que la Bible est l’expression de la croyance des Juifs aux temps de la restauration, de l’idée qu’ils se faisaient alors de leur passé et de leurs rapports avec la divinité, nous avons abordé en trois chapitres d’abord l’histoire, puis la religion, puis la littérature. Voici quelques lignes empruntées à la conclusion même de l’ouvrage : « À partir de l’an 400 avant notre ère se trouvent réunies (en Judée) les conditions d’une incomparable production littéraire et théologique. Assurées de la tranquillité

  1. Chez Leroux, in-12, viii et 231 p.