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« Que le laid doive nous faire éprouver du plaisir à voir, cela paraît aussi contraire au bon sens que de dire de la maladie et du crime qu’ils nous plaisent. Cela pourtant est possible. Comment ? D’une double manière : 1° d’une façon saine ; 2° d’une façon malsaine. Dans le premier cas, c’est lorsque le laid se justifie, comme on l’a vu, par la nécessité d’apparaître dans la totalité du développement de l’idée. Mais ce n’est qu’une nécessité relative. Le laid alors ne nous fait pas plaisir comme [tel, en lui-même, et pour lui-même ; mais par rapport au beau, qui en triomphe et le surmonte. On pourrait ajouter aussi qu’il nous plaît dans le ridicule ou le comique, par la raison qu’il rentre ainsi dans le beau et y retourne. Quant à la manière malsaine dont le laid peut nous plaire, il est plus facile d’en rendre compte. Il suffit de rappeler ce qui a eu lieu aux époques physiquement et moralement corrompues et blasées. Ne sachant plus comprendre et goûter le vrai beau, le simple, le naturel, on veut goûter dans l’art le piquant, le raffiné, l’extraordinaire, le grossier même et le burlesque. Il faut alors chatouiller les nerfs émoussés. L’inouï, les disparates étrangers, les situations risquées, mêlées, bizarres, extraordinaires, c’est là ce qui plaît.

Le dévergondage des esprits se repaît alors du laid, parce qu’il y voit comme l’idéal de ces situations mauvaises et fausses. On aime les combats de bêtes, les jeux des gladiateurs, les caricatures grossières, les mélodies molles et voluptueuses, les instrumentations colossales ; dans la littérature, une poésie de boue et de sang, dans les pièces de théâtre et les romans, tout ce que nous avons trop souvent sous les yeux pour qu’il soit besoin de s’y étendre ici plus longuement. »

IX

Les bornes de cet article ne nous permettent que de jeter un coup d’œil très-superficiel sur ce qui est, à proprement parler, l’œuvre de l’auteur, et fait l’originalité de son livre : l’analyse détaillée et la systématisation des formes du laid.

Ce n’est pas que nous méprisions ce travail. Mais il est peu susceptible d’analyse. Pour l’apprécier convenablement, il faudrait examiner à la fois le système et la partie positive qui conserve, à côté, une valeur indépendante. Nous aurions : 1° à apprécier la division générale et la manière dont l’auteur l’établit en se conformant à la méthode hégélienne ; 2° à le suivre dans ses subdivisions, qui elles-mêmes se subdivisent ; 3° à reprendre avec lui chaque point particu-