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controverses. Son ouvrage n’est pas de ceux où l’on s’efforce moins d’établir une théorie appuyée sur la généralité des faits que de combattre celles des naturalistes ou plutôt de défendre contre eux des positions bien ébranlées. Les observations et les faits occupent dans son livre une si large place qu’ils en sont la substance même, et quoique on y trouve bon nombre de théories ingénieuses que nous aurions pu mentionner, le lecteur ami de l’expérience n’aura pas le désagrément d’y trouver ces dissertations vagues qui ont été le propre de certaines écoles. L’auteur lui-même signale beaucoup de lacunes dans cet essai de sociologie animale : c’était inévitable ; mais quelques progrès que cette science puisse faire un jour, ce sera pour M. Espinas un grand honneur de l’avoir esquissée le premier.

Th. Ribot,

James Sully.Pessimism, a history and a criticism. (Le Pessimisme : histoire et critique). London. King and C°, in-8, 1877.

Aux deux derniers siècles, l’optimisme a eu ses beaux jours. Sous une forme populaire, poétique ou philosophique, il a été exposé, célébré, justifié. Entre beaucoup de représentants illustres, il compte Leibniz et Pope. Aujourd’hui, le pessimisme prend sa revanche. En Allemagne, une école s’est formée qui compte déjà toute une littérature ; et quoique Schopenhauer et Hartmann soient les seuls pessimistes chez nous connus, ils ne sont que les chefs d’un mouvement considérable qui compte parmi ses adeptes Frauenstaedt, Bahnsen, Taubert ; parmi ses critiques la plupart des naturalistes et des spiritualistes, avant tout Dühring et le trop fougueux Pfleiderer[1].

Il n’existait encore aucune histoire critique de ce conflit. Elle nous arrive d’Angleterre et elle a été faite par un homme qui a vécu en Allemagne, qui connaît bien sa philosophie et que ses publications antérieures avaient déjà placé, quoique jeune, au nombre de ceux dont le jugement compte chez nos voisins. Le sujet était attrayant et l’on peut dire qu’il est tombé en de bonnes mains. M. James Sully l’a traité avec l’élégance, la lucidité et la finesse d’analyse psychologique qu’on devait attendre de l’auteur de Sensation and Intuition.

Le pessimisme et l’optimisme ont la prétention, l’un et l’autre’, d’être une conception philosophique du monde : à ce titre, comme le fait remarquer M. Sully, ils ne doivent pas être jugés comme un système purement intellectuel, comme un produit de l’intelligence pure. Ils sont formés pour une bonne part de sentiments, d’émotions, d’éléments moraux puisés dans le cœur même de l’homme. Aussi rien d’étonnant que, durant de longs siècles, ils n’aient eu d’autres interprètes que la poésie et les croyances populaires. À travers les âges, depuis l’Inde et

  1. Pfleiderer : Der moderne Pessimismus. Voir aussi Hüber : Pessimismus,