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ces individus, ces races et ces espèces présentent dans leur manière de réagir à la douleur.

Venons maintenant aux manifestations mêmes de la sensibilité à la douleur. Nous verrons que ce n’est pas indifféremment que tels ou tels muscles entrent en jeu.

Considérons un animal immobile. S’il lui est démontré qu’il ne peut pas fuir, et si tous ses efforts pour fuir ont été vains, il fera une série de mouvements associés, en général assez complexes : mais d’abord il criera, c’est-à-dire qu’il fera contracter des muscles de son larynx ; pendant l’expiration — que ce soit le lièvre blessé par un coup de fusil, le chien attaché sur la table de vivisection, le pigeon surpris par un épervier, le veau égorgé à l’abattoir, ou l’enfant nouveau-né à qui on fait la circoncision —, tous crient, pleurent, gémissent ou hurlent : mais c’est un cri voulu, intentionnel ; ce n’est pas un simple cri réflexe, comme celui que Vulpian a obtenu en excitant la protubérance annulaire des lapins. C’est le résultat d’une douleur perçue par la conscience. Une fois que la douleur a été perçue par l’animal, l’animal se met à crier, et il semble que ces plaintes le soulagent. On a remarqué (Percy, Dupuytren, Lussana)[1]que les malades qui ne crient pas pendant les opérations, guérissaient moins bien que ceux qui s’étaient laissé aller à crier. Il est possible que ce cri, expression suprême de la douleur, soit une manière d’implorer le secours ; un appel fait à la protection ou à la pitié. Il est bien entendu que je ne donne cette explication que comme une simple hypothèse.

Quoi qu’il en soit, outre le cri, contraction du larynx, il y a une contraction spasmodique des muscles de la face, innervés par le facial[2]. Le front se ride, la bouche s’agrandit, les joues se creusent. En même temps, il se fait une série de mouvements généraux de flexion, comme si l’animal voulait se rendre plus petit, et offrir moins de surface à la douleur. Il est intéressant de remarquer que pour l’homme comme pour tous les animaux, on retrouve ces mêmes mouvements généraux de flexion et d’extension répondant aux sentiments différents de plaisir et de douleur. Le plaisir répond à un mouvement d’épanouissement, de dilatation, d’extension : au contraire, dans la douleur, on se rapetisse, on se referme sur soi ; c’est un mouvement général de flexion. Il y a cependant une observation à faire, c’est que ce mouvement de flexion a, au moins pour les muscles vertébraux, une forme spéciale. Ainsi il y a une

  1. La Scuola medica salernitana. Sept. 1874, p. 49.
  2. Voyez Darwin, L’Expression des émotions ; Duchenne de Boulogne, Physiologie des mouvements.