Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
461
Charles richet.la douleur

tendance générale, et cela dans presque toute la série des vertébrés, à rapprocher les unes des autres les apophyses épineuses, protectrices de la moelle épinière. C’est un mouvement de défense plutôt qu’un mouvement de douleur ; mais il est bien facile de comprendre que ces deux sortes de mouvements se confondent, dans la plupart des cas, et que la douleur vive impose à l’animal qui souffre des mouvements de défense.

Ces mouvements de douleur, si caractéristiques, constants chez tous les animaux intelligents, sont-ils des mouvements réflexes ? La question est plus difficile à juger qu’on ne le croirait au premier abord ; car il est des actions réflexes qui sont conscientes, et si on veut éliminer du groupe des mouvements réflexes, tous ceux qui sont perçus par le sensorium commune, on arriverait à des conclusions manifestement absurdes. Ainsi quand on approche vivement un objet de nos yeux, ou quand nous entendons un bruit violent et inattendu, nous fermons involontairement les paupières. Cependant le clignement est perçu, et à la rigueur on pourrait concevoir qu’il fût empêché par la volonté. Il en est de même absolument pour ces mouvements de douleur. Ils sont perçus, presque voulus, et presque involontaires. Il y a là une sorte d’intermédiaire entre la volonté et la nécessité, en sorte que souvent un effort extrême pourrait les empêcher, mais que parfois, l’excitation extérieure étant très-forte, la volonté serait impuissante.

Beaucoup d’actions réflexes sont dans ce cas, et il y aurait peut-être lieu d’établir une distinction entre les actions réflexes involontaires et les actions réflexes volontaires, malgré l’apparence paradoxale de ce mot.

Lussana[1] a fait remarquer avec raison que la douleur morale, au lieu de produire des mouvements spasmodiques, paralysait les mouvements et, dans une étude intéressante, il a rappelé que les poètes et les peintres avaient comme une intuition inconsciente de ces phénomènes, et étaient arrivés, par l’observation, à les connaître, et à les représenter exactement.

Mais il est d’autres actions réflexes entièrement soustraites à la volonté et qui pourraient passer pour des conséquences de la douleur.

Bichat avait jadis fait remarquer que pour reconnaître si une douleur est fausse ou véritable, il suffit d’explorer le pouls, mais les expériences des physiologistes modernes ont donné des résultats plus précis. Je ne puis entrer dans les détails de cette difficile ques-

  1. Loc. cit., p. 43.