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analyses.grote. A treatise of the moral ideals.

nous allons exposer ici les points essentiels, et qui a été publié après la mort de l’auteur, par les soins de M. Mayor.

Le titre même du livre, a Treatise of the moral ideals, en indique la pensée originale et maîtresse. M. J. Grote estime que les moralistes ont fait jusqu’ici fausse route en prétendant faire de la morale une science unique, fondée sur un seul principe. Suivant lui, la morale embrasse en réalité deux sciences —. celle qu’il appelle l’Eudèmonique (eudœmonics), ou science du bonheur, et celle qu’il désigne par le nom d’arétique (aretaics), ou science de la vertu. Ni l’une ni l’autre prise séparément, n’exprime dans sa totalité l’objet de la philosophie morale ; unies par les plus étroits rapports, elles sont, en fait et dans leur essence, indépendantes et distinctes.

L’objet propre de l’eudémonique, c’est de nous apprendre les moyens d’éviter la souffrance et d’arriver au bonheur ; celui de l’arétique, c’est de mettre en lumière et de préciser dans le détail l’obligation qui s’impose à tout homme de ne pas infliger sans motif la souffrance à autrui et de contribuer dans la mesure de ses forces au bonheur de ses semblables. L’axiome fondamental de l’eudémonique, c’est que la douleur pour chacun de nous est un mal et doit être évitée, l’axiome fondamental de l’arétique, c’est que l’infliction de la douleur à autrui est un mal et ne doit être ni désirée ni recherchée.

Étudier et comparer les différentes sortes de peines qui peuvent affecter la sensibilité et les plaisirs corrélatifs dont la somme constitue pour chacun la notion du bonheur, déterminer les circonstances infiniment variées qui font naître ou modifient ces plaisirs et ces peines, voilà ce que se propose l’eudémonique, science importante, indispensable, et dont le procédé essentiel est l’observation.

Parallèlement, il faut une autre science qui s’applique à découvrir l’infinie variété des circonstances dans lesquelles un plaisir peut être donné, une peine infligée : c’est là la science de l’arétique. L’une et l’autre de ces deux sciences sont rendues nécessaires par la complexité même des objets auxquels elles s’appliquent, et l’innombrable multitude des problèmes secondaires qu’elles sont appelées à résoudre.

De ces deux sciences, la première, selon l’ordre chronologique, est l’eudémonique, puisqu’elle fournit à l’autre la notion qui leur est commune, celle de peine ou de douleur. L’arétique suppose donc l’eudémonique-, mais elle n’en est pas un simple corollaire. Le mal qui consiste à infliger une douleur sans motif est un fait absolument différent en nature de celui qui consiste à souffrir la douleur : celui-ci ne regarde que nous-mêmes ; celui-là découle de nos rapports avec autrui. Ajoutons que l’arétique est plutôt une science de déduction. Indispensable à l’arétique, à qui ses analyses et ses observations fournissent les données relatives au plaisir et à la douleur, l’eudémonique ne peut à son tour se passer d’elle. Le bonheur humain est en effet celui d’un être moral qui par les liens de la sympathie est étroitement uni à ses semblables. Par suite, leur bonheur est une condition du sien. Sa con-