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(Massenhandlung), ni l’unité dramatique d’une action particulière, rejeter aussi les événements de la vie commune et de famille, qui par la mesquinerie du conflit ennuient et produisent un effet prosaïque (Kotzebue, Iffland, etc.). En second lieu le sujet doit être dramatique. N’est dramatique que ce qui peut être rendu extérieurement visible par l’action. Un événement, même intéressant et poétique, même capable de mettre en lumière le conflit de passions en lutte, est encore sans usage comme matière dramatique, si tous les incidents ne se traduisent pas naturellement par des actes visibles (le Tasse de Goethe). Troisièmement, le sujet doit être propre à être mis sur la scène (Bühnenfähig), ne pas dépasser une certaine longueur, se prêter à des coupures bien mesurées (actes). Toutes les scènes d’un même acte doivent être d’un intérêt croissant, et les divers actes présenter la même gradation jusqu’à la catastrophe finale. En quatrième lieu, le sujet doit « être intelligible et émouvant d’un point de vue universellement humain. » Il ne faut pas que les péripéties d’un drame soient amenées par des passions, qui ne sont que des préjugés nationaux, et qui contredisent le sentiment général de l’humanité. Une bonne matière dramatique doit être telle que, sortie de son cadre historique, elle puisse rentrer dans un autre cadre, sans devenir inintelligible. Inutile de faire un cours d’histoire, ce qu’il faut c’est une leçon sur l’éternelle histoire du cœur humain. Comme la beauté d’une femme reste admirable, quand varient ses vêtements ou sa parure ; de même la passion humaine mérite notre intérêt et notre sympathie, quelles que soient les circonstances extérieures qui lui servent de vêtement. Enfin l’action doit être simple. On peut opposer ici l’exemple du roi Lear, de Cymbeline, admirer la complexité de ces drames : nous répondrons d’abord que Shakespeare ne se recommence pas, et que, même étant donné son génie, le manque de simplicité dans le sujet est un des points sur lesquels il reste inférieur aux Grecs. Un critique savant peut être séduit par le roi Lear et Cymbeline, un spectateur naïf sera toujours troublé dans son admiration par la multiplicité des événements ; et c’est à juste titre, car une pièce n’est pas faite pour être étudiée avant la représentation. D’ailleurs toute œuvre d’art doit être simple : dans la force et dans la concentration. Plus l’auteur se limite, plus l’auditeur s’attache à ce qui est comme « le germe » dont sort et se développe toute l’action ; plus le sujet est concentré, plus l’impression est puissante. Dans le drame, il ne faut pas d’épisodes : rien qui n’aille au but, c’est-à-dire qui ne serve à l’action ; pas un trait, si ce n’est ceux qui sont indispensables au dessin du caractère. La concentration dramatique est en grande partie atteinte ou du moins favorisée, quand l’action s’accom-