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à un haut degré d’organisation, et d’où la force créatrice fait jaillir à un moment la lumière de la pensée, est plus convenable et plus agréable que de sortir d’une motte de terre. » Et il conclut en ces termes : « Ainsi, même pour des motifs psychologiques, on ne peut rejeter la parenté originelle de l’homme avec le singe, à moins toutefois que l’on ne considère le singe et le chimpanzé comme des animaux beaucoup trop doux et trop pacifiques, pour que des êtres de cette espèce aient pu donner naissance à ces troglodytes qui triomphaient du lion gigantesque des anciens temps, et qui, après lui avoir brisé le crâne, humaient avidement sa cervelle fumante. »

Les critiques que Lange dirige contre les écarts de la science soi-disant spiritualiste ne sont pas plus acerbes que celles qu’il dirige contre le matérialisme naïf de la phrénologie et de la physiologie prétendues scientifiques. Les phrénologues, de Gall jusqu’au docteur Castle, se laissent égarer par les dénominations équivoques et les divisions arbitraires de la psychologie traditionnelle. En localisant les facultés, ils ne font que réaliser des abstractions, donner un corps à des chimères, que peupler le cerveau d’âmes et d’entités multiples. On en doit dire autant de bien des physiologistes. Même chez Pfluger, dont les savantes découvertes sur les réflexes ont ouvert des voies nouvelles, ce défaut est encore très-sensible. Ce n’est que depuis les travaux de Meynert sur l’anatomie cérébrale des mammifères, depuis les belles expériences de Hitzig, de Ferrier et de Nothnagel sur la physiologie du cerveau, que la physiologie est devenue véritablement expérimentale, et en a décidément fini avec les hypothèses et les abstractions.

Jamais la cause de la science positive, comme elle s’appelle, n’avait été plaidée avec plus de chaleur et d’autorité. À coup sûr, les savants ne pouvaient exiger ni même attendre d’un philosophe une intelligence plus vive de leurs méthodes, une sollicitude plus inquiète et plus éclairée pour l’intégrité et l’indépendance de leurs principes, une revendication plus jalouse enfin de leurs droits. Ce n’était pas moins contre la timidité ou l’inconséquence de ses propres partisans que contre les prétentions ou l’hostilité de ses adversaires, que Lange défendait la science tour à tour. Le mécanisme était enfin professé dans toute la rigueur de ses lois et proclamé la règle unique, la mesure inflexible de toute certitude scientifique, présenté comme le mode fondamental d’explication, auquel tous les autres empruntent leur vérité et dont ils ne peuvent s’écarter que provisoirement.

Si Lange avait assez fait ainsi pour la cause de la science, il n’avait encore rien fait pour celle de la philosophie. Son œuvre n’était jusque-là qu’un commentaire, approprié aux problèmes contem-