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prend l’assemblage à dose égale des trois qualités de bonté, de passion et de ténèbres[1] ; par conséquent la qualité de bonté qui correspond à l’omniscience ne saurait prédominer et rendre la nature elle-même omnisciente.

À propos du même sûtra, Çankara s’applique à réfuter une objection bien subtile qu’il suppose possible contre l’omniscience de Brahma. Si l’on prétend, dit-il, qu’il ne possède pas l’omniscience suprême parce que, dans l’activité constante de la connaissance que suppose l’omniscience, la liberté fait défaut vis-à-vis cette même activité (et par conséquent est impuissante à la soutenir et à la stimuler), on peut demander comment l’omniscience pourrait cesser quand il y a exercice constant de la connaissance. L’omniscient est, en effet, celui dont la faculté de connaître est constamment capable d’éclairer tous les objets. Il n’y a, par conséquent, que dans l’intermittence de la faculté de connaître que l’absence d’omniscience peut avoir lieu, et il en résulte que l’objection faite contre l’exercice constant de cette faculté est sans valeur[2]. Cette discussion est un exemple entre mille de la logomachie puérile à laquelle s’adonnaient les dialecticiens de l’Inde après les périodes créatrices qui virent éclore les systèmes philosophiques dans leurs principaux traits.

Le sûtra 1.1.12 ânandamayo’ bhyâsât a pour but d’affirmer que Brahma est fait de bonheur ou est tout bonheur et, d’après le sûtra 1.1.16, netaro’ nupapatteh, il l’est à l’exclusion de tout autre être, c’est-à-dire, d’après Çankara, à l’exclusion de l’âme individuelle soumise à la transmigration[3].

Çankara résume en ces termes les principes établis, en ce qui concerne la nature de Brahma, dans le premier pâda (subdivision d’un ouvrage) du premier adhyâga (lecture) des Brahma-Sûtras :

« Il y est dit que Brahma est la cause de l’origine, etc. (c’est-à-dire de la conservation et de la destruction) de l’univers. Il y est dit ensuite que Brahma, cause de l’univers, est omniprésent, éternel,[4]

  1. Ce sont les trois qualités qui, dans la philosophie de l’Inde, se joignent à la substance dans différentes combinaisons pour produire toutes les formes matérielles que comprend l’univers.
  2. Yat tu uktam sattvadharmena jñânena sarvajñam pradhânam bhavishyatîti tan nopapadyate. Na hi pradhânâvasthâyâm gunasâmyât sattvadharmo jñânam sambhavati.
  3. Yat punar uktam brahmano’ pi na mukhyam sarvajnatvam upapadyate nityajñânakriyatve jñânakriyâm prati svâtantryâsambhavâd ity atrocyate. Idam tâvad bhâvan prashtavyah katham nityajñânakriyatve sarvajñatvahànir iti yasya hi sarvavishayâbhâsanakshamam jñânam nityam asti so sarvajña iti vipratishiddham anityatve hi jñânasya kâdacit jânâti kâdacin na jânâti ity asarvajñatvam api syàt nâsau jñânanityatve dosho’ sti.
  4. Itaç cânandamayah para evâtmâ netarah itara îçvarâd anyah samsârî jîva ity arthah. Na jîva ânandamayaçabdenâbhidhîyate.