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béraud.le moi comme principe de la philosophie

rien trouver en lui qui soit capable de le détruire, ou même de le modifier. Du reste, en quoi un être, s’il était seul, pourrait-il changer ? Il ne pourrait changer qu’en moins ou en plus ; il ne pourrait que perdre ou gagner. Mais penser qu’un être peut se créer et se détruire lui-même, n’est-ce pas là, comme nous l’avons déjà dit, la plus révoltante de toutes les absurdités ?

Or, nous le savons, il y a des changements ; et je n’ai ici besoin d’autre preuve que les changements dont je suis moi-même le siège. S’il y a des changements, il y a donc plusieurs êtres ; et comme il y a un nombre considérable de changements, il y a aussi un nombre considérable d’êtres.

Mais ces êtres ne sont pas en nombre infini, car le nombre actuellement infini est impossible. Il y a donc des êtres simples indivisibles ; et les êtres composés ne sont, pour ainsi dire, que des agglomérations de ces êtres simples. Du reste, s’il en était autrement, il y aurait des composés sans composants, des nombres sans unité, ce qui est absurde.

De plus les êtres n’ont jamais été créés et ne peuvent être anéantis. Gréés, comment le seraient-ils ? Dieu, l’être éternel que nous supposons les avoir produits, ne peut les avoir tirés que de lui-même ou du néant ; du néant, c’est impossible : le néant ne peut servir de matière avec quoi l’on puisse fabriquer quelque chose ; de lui-même, c’est possible ; mais alors il n’y a plus véritablement création, mais simple transmission.

D’ailleurs, à quel moment les aurait-il créés ? Au commencement de l’éternité, s’il est permis d’employer un tel langage ? Mais alors ces êtres n’auraient pas été créés véritablement, puisqu’ils seraient éternels comme Dieu même. À une époque déterminée du temps ? Mais alors, n’ayant d’abord rien produit, puis s’étant mis à produire, Dieu aurait donc changé. Or le changement, nous le savons, suppose la multiplicité des êtres. Dieu serait donc à la fois multiple et changeant, par conséquent rentrerait dans la catégorie des autres êtres, et, pas plus qu’eux, ne pourrait se suffire à lui-même, si l’on suppose en effet que ces êtres ne se suffisent pas à eux-mêmes. Il faudrait donc avoir recours à un autre Dieu, puis à un troisième, et ainsi de suite, sans jamais en trouver un qui puisse se suffire et exister par soi. L’hypothèse de la création aboutit donc en définitive à la négation de toutes les existences[1].

Par des arguments analogues nous démontrerions que les êtres ne

  1. Pour plus de détails sur cette question, voyez notre Étude sur l’Idée de Dieu.