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les physiciens, qui nient le vide, mais nous voulons dire par exemple que le vase est sans eau, sans vin, sans huile, de même quand nous disons que l’âme se meut sans cause, nous voulons dire sans une cause antécédente et extérieure, et non absolument sans cause [1]. On peut dire de l’atome même, lorsqu’il est mû à travers le vide par son propre poids, qu’il est mû sans cause, parce que nulle cause ne survient du dehors. Mais, pour ne pas être tous raillés par les physiciens si nous prétendons que quelque chose arrive sans cause, il faut faire une distinction, et dire que la nature même de l’atome est d’être mû par son poids, que c’est là la cause pour laquelle il se meut ainsi. » Par cette ingénieuse introduction de l’idée de nature, Carnéade croit échapper à l’idée de nécessité sans avoir besoin d’invoquer la déclinaison spontanée des atomes ; selon lui, l’atome ne se meut pas parce qu’une cause extérieure le pousse, ni parce qu’il décline spontanément : il se meut parce que telle est sa nature. « De même, pour les mouvements volontaires des âmes, il ne faut pas chercher de cause extérieure : car le mouvement volontaire possède lui-même en soi cette nature d’être en notre puissance, de nous obéir, et cela non sans cause : la nature même est la cause de cette action [2]. » Ainsi, par l’idée de nature, c’est-à dire d’une cause qui ne serait proprement ni libre ni nécessaire, Carnéade espère concilier la régularité des mouvements dans l’univers avec leur liberté arbitraire dans l’homme.

Cet argument subtil de Carnéade (que Bayle admire) ne put convaincre les Épicuriens : n’est-ce point se payer de mots que d’invoquer la nature comme cause, et de soutenir que cette cause n’a pas un caractère fatal, qu’elle ne ramène pas avec elle l’idée de nécessité qu’on voulait écarter ? Carnéade croit que, si la nature de l’a-

  1. C’est l’argument de Clarke, de Reid, de V. Cousin, de Jouffroy, qui, comme on le voit, n’ont guère avancé la question.
  2. « Acutiùs Carneades, qui docebat posse Epioureos suam causam sine hâc commentitiâ declinatione defendere. Nam quum docerent esse posse quemdam animi motum voluntarium, id fuit defendi melius, quàm introducere declinationem, cujus prassertim causam reperire non possunt : quo defenso, facile Chrysippo possent resistere. Quum enim concessissent motum nullum esse sine causa, non concédèrent omnia quas fièrent fieri causis antecedentibus : voluntatis nostrae non esse causas externas et antécédentes… De ipsà atomo dici potest, enim quum per inane moveatur gravitate et pondère, sine causa moveri, quia nulla causa accédât extrinsecùs Rursus autem, ne omnes a physicis irrideamur, si dicamus quicquam fleri sine causa, distinguendum est, et ita dicendum, ipsius individui hanc esse naturam, ut pondère et gravitate mo veatur, eamque ipsam esse causam cur ita feratur. Similiter ad animorum motus voluntarios non est requirenda externa causa : motus enim voluntarius eam naturam ipse in se continet, ut sit in nostrâ potestate, nobisque pareat, nec id sine causa, ejus enim rei causa ipsa natura est. a (Cicer., De fato, XI.)