Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 81.djvu/340

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pour l’art, l’amour pour l’amour. C’est un jeu du sentiment, une variété de dilettantisme sentimental.

On pourrait, d’une manière générale, ranger sous la rubrique « nostalgie » tous les états introspeclifs : examen de conscience, retour sur soi, méditation sur soi-même. — Qui dit introspection dit rétrospection. Toutefois, comme nous venons de le dire, l’humeur nostalgique, n’entre pas comme élément intégrant dans toute introspection. L’état du psychologue qui s’observe pour préciser quelque nuance de sentiment ou de pensée ne se définit pas par la dispersion rêveuse que caractérise la nostalgie, mais par la contention d’esprit qui se fixe sur un point pour le mettre en pleine lumière en rejetant dans l’ombre tous les souvenirs inutiles au but proposé. — On pourrait pénétrer davantage dans le détail et énumérer un certain nombre d’états qui assortissent à la récurrence psychologique. Cette nuance rétrospective et réactive au sens où Nietzsche prend ce mot, est déjà suffisamment marquée par la syllabe re par laquelle commencent les noms qui désignent la plupart d’entre eux : regret, remords, repentir, ressentiment, révolte, etc., auxquels on peut ajouter certaines nuances de sentiment telles que la jalousie rétrospective, l’irrésolution rétrospective, etc. — Ces états ne rentrent dans la nostalgie qu’en tant qu’ils revêtent une nuance affective et passionnée : obsession, hantise, goût maladif du passé, goût de l’angoisse et de la douleur qui est un des traits de notre trouble et inquiète nature. On peut parler en ce sens de la manie du regret, de la manie du remords, de la manie du scrupule, de l’humeur rancunière, de la rumination des pensées de ressentiment, ces dernières restant d’ailleurs platoniques et tout intérieures. Chateaubriand décrit comme sien ce trait de caractère. « Sous ce rapport, je suis singulièrement né : dans le premier moment d’une offense, je la sens à peine ; mais elle se grave dans ma mémoire ; son souvenir, au lieu de décroître, augmente avec le temps ; il dort dans mon cœur des mois, des années entières, puis il se réveille à la moindre circonstance avec une force nouvelle, et ma blessure devient plus vive que le premier jour. Mais si je ne pardonne point à mes ennemis, je ne leur fais aucun mal ; je suis rancunier et ne suis point vindicatif. Ai-je la puissance de me venger, j’en perds l’envie[1] … » À cette disposition

  1. Mémoires d’Outre-Tombe, t. i, p. 77.