Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 81.djvu/351

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premier rang de celles-là la littérature romantique, avec ses clairs de lune nostalgiques, ses cyprès mélancoliques, sa poésie des cimetières et des ruines : avec le nevermore d’Edgard Poe, avec les leitmotivs de l’amour et de la mort. Puis l’école symboliste, rendez-vous des derniers amants de la lune, amants de la beauté qui se penche tendrement sur les tombes ; l’école symboliste, avec sa passion des choses éternelles, son désir du chef-d’œuvre immortel et impérissable, avec son sentiment d’un univers d’où l’improvisation est exclue et où triomphe le nil novum sub sole[1]. — Et voici les philosophies passéistes : Philosophies de l’éternel recommencement : la philosophie hindoue, qui nous enferme dans les cercles de l’Illusion ; la philosophie stoïcienne, avec sa conception du grand cycle, de la grande année ; la philosophie de Nietzsche, en dépit de ses diatribes contre l’esprit historique ; philosophie du Retour Éternel, avec quoi se concilie malaisément l’idée futuriste du Surhomme ; — Philosophie de l’Immobilité : la philosophie éléatique, apothéose de la morne Identité ; le Platonisme, avec son adoration des Idées pures, immobiles et immuables, avec sa réminiscence d’un-ciel nostalgique et son mythe passéiste du primitif Androgyne ; le mécanisme cartésien, avec son amour de la monotonie géométrique ; le spinozisme avec son goût d’éternité ; la philosophie de Schopenhauer, avec son idée de l’immutabilité de l’humanité et de l’histoire, et son corrollaire : la négation du Progrès. — Et il y a aussi des races nostalgiques et des peuples nostalgiques : la race Juive répétant mélancoliquement le Super flumina Babylonis et rêvant à l’éternelle Sion ; la sentimentale Bretagne, hantée par ses légendes ; la Pologne inoublieuse de sa grandeur passée ; l’Allemagne enfin, la race nostalgique entre toutes, nostalgique dans l’orgueil comme dans le rêve, dans la haine comme dans l’amour. Plus nostalgique dans la haine. « Un jour, raconte Heine, à Gœttingue, un jeune Vieille-Allemagne voulait venger dans le sang des Français le supplice de Konradin de Hohenstaufen que vous avez décapité à Naples. Vous avez certainement oublié cela depuis longtemps ; mais nous n’oublions rien, nous[2] » ; l’Allemagne, qui vérifie une corrélation psychologique que nous avons expliquée plus haut : le plus sentimental des peuples,

  1. Cf. Villiers de l’Isle-Adam, L’Ève Future, p. 228.
  2. Henri Heine, De l’Allemagne, I.