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une couche de dépôt. La puissance s’est faite acte. Afin que l’organisme reste en communication avec l’extérieur, il est nécessaire qu’une nouvelle couche sensible monte à sa surface pour y jouer un rôle analogue à celui de sa devancière. Et les couches se déposent les unes sur les autres pendant toute la vie de l’animal.

L’animal est ainsi à chaque moment de son existence composé de couches qui ont subi des impressions et d’une couche impressionnable. Donnons à cette dernière couche le nom de périphérie. La périphérie est le réceptacle de la sensibilité ; c’est elle qui sert de trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur. C’est par elle que l’action des choses senties se fixe dans la profondeur de la substance sensible.

La périphérie a nécessairement une constitution particulière, en vertu de sa position même. C’est ainsi que les molécules superficielles d’une goutte d’eau ont entre elles des rapports de cohésion qui n’existent pas entre les molécules intérieures. Et cela s’explique. Les rapports qui unissent celles-ci sont des rapports de molécules aqueuses à molécules aqueuses, tandis que ceux qui relient celles-là sont en partie des rapports de molécules aqueuses à molécules non aqueuses. Il en est de même de l’être sensible ; à l’intérieur de la périphérie, il n’y a que des molécules qui ont senti, à l’extérieur des choses destinées à être senties.

Il ne faut pourtant pas confondre la périphérie avec l’enveloppe superficielle de l’être sensible. Ces deux choses peuvent être différentes. Il est utile que j’appuie un instant sur ce point.

Dans mon premier article[1], j’ai, si on se le rappelle, discuté la notion de la périphérie à propos des idées de M. Stricker. La périphérie, ai-je dit, peut avoir son siège à une certaine profondeur.

Si l’on promène un corps très léger, un cheveu par exemple, sur la peau nue du dos de la main, on ne le sentira généralement pas ; mais le contact sera perçu du moment que le cheveu heurtera l’un des poils qui la recouvrent[2]. Ce poil remplit l’office d’un levier qui multiplie l’action du cheveu. Les poils ne servent donc pas uniquement à préserver le corps des intempéries de l’atmosphère, ils ont encore pour effet d’exalter la sensibilité du derme. On peut remarquer chez beaucoup d’animaux, comme les chiens et les chats, principalement autour de la bouche ou des yeux, des poils longs et

    liser dans le sens de rendre sensible. C’est ainsi que fertiliser signifie rendre fertile. Les photographes m’ont forcé de recourir chaque fois à une périphrase.

  1. Octobre 1879, p. 353 et 354.
  2. Voir ma Théorie générale de la sensibilité, p. 63 sqq.