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d. nolen. — les maîtres de kant

trahit bien la même inspiration que la belle invocation au devoir dans la Critique de la raison pratique.

Mais c’est alors que l’accord des deux philosophes semble le plus étroit, que vont s’accuser le plus nettement les différences qui les séparent, et qu’il nous est donné de mesurer, dans un exemple unique, tout ce qui sépare de la reproduction servile l’imitation originale du génie.

La formule de l’impératif catégorique ne prête à aucune équivoque : agis avec ordre, commande-t-elle, et respecte, en ta personne comme dans les autres hommes, les interprètes et les agents également sacrés de l’ordre éternel. On chercherait en vain dans Rousseau une doctrine de cette précision. Il parle la langue confuse du sentiment, et la conscience rend chez lui des oracles, plutôt qu’elle n’édicte des lois. Il plaide avec l’éloquence du cœur la cause de la dignité humaine : Kant la défend contre les sceptiques et les matérialistes par les armes de la dialectique la plus acérée qui fut jamais. Rousseau est fortement pénétré de l’autorité irréfragable de la conscience, du devoir qu’elle promulgue, surtout des droits qu’elle proclame. Mais il ne sait pas reconnaître en elle le principe de la certitude purement scientifique, aussi bien que de la vérité religieuse et morale. Il n’a pas réfléchi sur le sens et la portée du mécanisme scientifique, et sur les moyens d’en concilier la vérité relative avec la certitude absolue du devoir et de la liberté.

C’est en 1785, dans le Fondement pour la métaphysique des mœurs, que Kant formule, pour la première fois, le principe de l’autonomie de la personne morale, après en avoir fait indirectement l’application et déterminé la valeur dans la solution du difficile problème de la certitude scientifique ou du mécanisme expérimental, par la Critique de la raison pure de 1781. Il n’en donne la démonstration transcendantale que dans la Critique de la raison pratique, en 1788. La Critique du jugement, en 1790, étend et complète cette déduction, comme dit Kant, en découvrant dans la finalité organique et dans la finalité esthétique des arguments nouveaux en faveur de la spontanéité du moi. Le principe mis ainsi à l’abri des objections du mécanisme, comme de celles du rationalisme, défendu contre les entreprises dogmatiques des savants aussi bien que des métaphysiciens, Kant n’aura plus qu’à en faire sortir toutes les conséquences qu’il renferme, en l’appliquant soit à la nature par sa métaphysique de la science de la nature, soit à la société par sa métaphysique du droit, soit à l’individu par sa métaphysique de la vertu. On voit, sans qu’il soit nécessaire d’y insister, quelle auto-