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rôle qu’on peut attribuer à Thalès[1], qui, né vers 640 avant Jésus-Christ, semble n’être revenu qu’assez tard à Milet pour y consacrer les loisirs de sa vieillesse aux travaux de l’intelligence.

L’historiette d’Aristote sur le monopole des pressoirs d’huile paraît indiquer que tout d’abord la nature de ses occupations, absolument étrangères aux habitudes de ses compatriotes, fut loin de lui attirer leur considération. Mais il en fut bientôt tout autrement, lorsque le succès de la prédiction de l’éclipsé solaire du 28 mai 585 avant Jésus-Christ rendit son nom célèbre dans tout le monde hellène. On lui décerne alors le titre de sage, et, surtout après la mort du tyran Thrasybule, il acquiert en Ionie une importance politique notable, qu’il conserve jusqu’à sa mort (vers 548 avant Jésus-Christ), au milieu des vicissitudes de sa patrie, sans toutefois se distraire des études qui avaient fondé sa gloire.

Voilà à peu près comme on peut reconstituer le cadre de sa biographie[2]. Sans doute les hypothèses y jouent leur rôle, mais l’ensemble est plausible et concorde suffisamment avec les données historiques que l’on possède.

Il n’est au reste qu’un point qui mérite une discussion sérieuse ; il s’agit de la réalité de la prédiction de l’éclipsé, fait souvent révoqué en doute, et auquel nous attachons d’autant plus d’importance qu’il semble vraiment, par la renommée qu’il valut à Thalès, avoir éveillé dans la race hellène l’amour de la science et l’émulation vers ce but de la vie.

M. Th. -H. Martin[3] a notamment combattu la réalité de cette prédiction. Il s’appuie sur un point d’ailleurs incontestable, que, pour essayer d’annoncer une éclipse solaire avec quelque chance de succès, il faut posséder certains éléments astronomiques qui n’ont été connus, et encore très approximativement, qu’au me siècle avant Jésus-Christ (Aristarque de Samos), et mis en œuvre dans ce but qu’au iie (Hipparque). La prédiction faite par Thalès ne serait donc

  1. On a révoqué en doute jusqu’au voyage de Thalès en Égypte, parce qu’il n’est pas attesté par des documents suffisamment anciens. Il nous semble que le problème de la cause des débordements périodiques du Nil, question qui préoccupe successivement tous les Ioniens et qui, d’après Hérodote, remonte à Thalès, n’a pu être originairement soulevé que par un témoin oculaire du phénomène.
  2. Il nous paraît inutile d’indiquer les sources, faciles à retrouver. J’ai fait au reste, dans toute cette étude, de fréquents emprunts à Letronne, Mémoire sur la civilisation égyptienne depuis l’établissement des Grecs sous Psammitichus jusqu’à la conquête d’Alexandre. — G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient, ouvrage désormais classique. — Bretschneider, Die Géométrie und die Geometer vor Euklides. Leipzig, Teubner, 1870.
  3. Revue archéologique, 1864.