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timent déterminé. Donnez à vos traits l’expression de la colère, et vous éprouverez vaguement de la colère ; imprimez-leur une apparence triste, et vous vous sentirez porté à la tristesse. On a fait, sur les hypnotisés et les somnambules, des expériences qui mettent cette corrélation hors de doute. « Ainsi, par exemple, dit M. Richet[1], à un individu hypnotisé, si l’on ferme le poing droit et si l’on étend le bras, aussitôt la figure prendra l’expression de la colère, de la menace, et tout le corps se conformera à cette attitude générale de colère ou de menace. Si l’on lui fait joindre les mains, les traits prendront une expression suppliante ; il se mettra à genoux et semblera par toute son attitude implorer humblement la pitié. » — « En lui mettant (à une hystérique qui est dans le service de M. le professeur Charcot) la main droite à la bouche, comme si on lui faisait envoyer un baiser, aussitôt elle se met à sourire, et sa figure prend une expression amoureuse. » Détail très remarquable, ces sortes de suggestions peuvent être localisées à un côté du corps, « en sorte qu’en faisant avec le poing gauche le geste de la menace, et avec la main droite le geste d’envoyer un baiser, les traits prennent à gauche l’aspect de la colère, et à droite celui de la tendresse amoureuse. » De ces faits et d’autres M. Richet tire cette conclusion générale : « Chaque mouvement, soit volontaire, soit réflexe, soit communiqué, retentit sur les centres nerveux et modifie le cours de nos idées et de nos sentiments. »

Les réminiscences sont donc des suggestions, et ce sont des suggestions qui fournissent au rêve ses données principales. Les sensations de chaud, de froid, de bruit, de lumière, etc., sont une des sources des images qui surgissent dans l’esprit de l’homme endormi. Les attitudes que nous prenons et l’état physiologique de nos viscères donnent de leur côté un cours fatal à nos idées. D’autre part, les idées communes et les mots jouent un rôle considérable dans les complications embrouillées de nos rêves. Arrêtons un instant notre attention sur ces deux facteurs.

Il s’est élevé un débat à l’occasion des idées communes. Sont-elles ou ne sont-elles pas des abstractions’? Je n’ai pas ici à prendre parti entre Locke et Berkeley ; il me suffit de faire observer que l’idée commune est de sa nature une idée vive et puissante.

La vivacité d’une idée peut dépendre de deux causes : de la force de l’impression, de la répétition de la même impression. L’idée que j’ai de mon chien est plus nette, plus vivante que celle que j’ai du

  1. Revue philos., décembre 1879, p. 611 et suiv. M. le docteur Richet a traité plus longuement le même sujet dans la Revue des Deux-Mondes (janvier et février 1880).