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j. sully. — le plaisir de la forme visuelle.

Tout d’abord, je rappellerai au lecteur que, partant de la position naturelle ou « primordiale » dans laquelle l’axe ou centre de vision est dirigé vers un point situé immédiatement en avant, l’œil est capable de suivre une ligne quelconque du champ de la vision, supposé plat, sans grande dépense d’énergie musculaire, et par l’action uniforme d’un ou de plusieurs muscles[1]. En d’autres termes, le mode simple et normal de l’action visuelle consiste à décrire un mouvement qui correspond à une droite placée dans le champ plat. Mais, bien que tous les mouvements rectilignes partant de cette position primordiale soient des mouvements normaux, il y en a de plus aisés que d’autres : ainsi tandis que les mouvements horizontaux ne réclament que l’action d’un seul muscle, les mouvements verticaux en réclament deux, et les mouvements obliques trois[2]. Les mouvements qui tendent, bien loin de la position primordiale, vers des points voisins de la périphérie du champ visuel, supposent nécessairement un degré supérieur de dépense musculaire, les muscles étant alors contractés jusqu’à leur limite extrême. De plus, il faut remarquer que, dans ces régions extrêmes du champ, les mouvements ne s’exécutent plus avec la même simplicité. Ainsi, si l’œil parcourt une ligne horizontale s’étendant bien dans le champ de la vision, plus d’un muscle intervient.

En résumé, l’œil, grâce aux lois de son mécanisme, suit une ligne bien plus facilement dans les parties centrales que dans les parties périphériques du champ visuel, et, dans les parties centrales, il suit une ligne verticale plus facilement qu’une oblique, et une horizontale plus facilement qu’une verticale.

Il semble résulter, de ces conditions de facilité dans les mouvements de vision monoculaire, que dans les cas de vision binoculaire les mouvements à axes parallèles seront plus faciles que les mouvements a axes convergents. C’est ce que prouve l’observation, car, ainsi que le remarque Wundt, les enfants en bas âge meuvent instinctivement leurs yeux de la première manière. Les mouvements combinés, à axes convergents, réclament un élément supplémentaire de tension musculaire, à savoir celui qui est nécessaire pour contrebalancer la tendance naturelle au parallélisme[3]. Pour le

  1. Dans cette position primordiale, la tension des muscles antagonistes est exactement équilibrée, et le mouvement implique des essais, les premiers et les plus faciles de tous, de contraction et de relâchement.
  2. Voy. Wundt, Physiologische Psychologie, p. 536-539.
  3. Il faut ajouter, néanmoins, que dans le cas de mouvements à axes convergents, dirigés vers un point immédiatement en avant des deux yeux, le contraste entre les mouvements horizontaux et verticaux indiqué dans le cas de la vision monoculaire est un peu modifié, mais nullement effacé.