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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/524

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le vent, et à la montagne vénérable qui abaisse ses regards sur la terre au-dessous d’elle, avec une expression de calme digne de Jupiter. L’art, quand il n’est pas franchement imitatif, doit quelque chose à ces vagues suggestions. Ainsi, nous sommes disposés à transformer des colonnes d’appui en cariatides avant que l’art lui-même les ait transformées pour nous. Après la figure humaine, d’autres formes organiques d’entre les plus belles peuvent fournir à l’œil de semblables associations. Ainsi, le chapiteau corinthien, et certaines formes qu’on retrouve fréquemment dans le dessin d’ornement, plaisent à l’œil en partie à cause d’un vague sentiment de leur ressemblance à des plantes.

Le lecteur s’attend peut-être à ce que je marque les valeurs relatives de ces divers facteurs dans la forme agréable. Mais la psychologie n’est pas encore une science quantitative ; et, s’il en est ainsi, l’esthétique doit se contenter d’énumérer les éléments, sans chercher à mesurer exactement leurs valeurs relatives. J’ai insisté sur la présence d’un élément sensoriel direct dans la forme visuelle, en dehors des plaisirs de la lumière et de l’ombre. Dans l’expérience journalière, nous pouvons ne pas nous apercevoir du plaisir que le mouvement oculaire, sous sa forme réelle ou idéale, est de nature à procurer, justement parce que notre œil n’envisage généralement ces mouvements que comme des signes de faits objectifs importants. Mais lorsque cette signification a disparu, comme dans un dessin arabesque décoratif, nous pouvons facilement nous apercevoir du caractère agréable d’un pareil mouvement. Et il faut supposer que cet élément entre comme un facteur très appréciable dans le plaisir total que la sculpture et l’architecture nous procurent. Tout en ne constituant pas un plaisir considérable quand on l’isole des autres modes de jouissance, il peut contribuer, comme un facteur important, à une impression esthétique composée comme celle-là[1].

Mais, tout en mettant en relief ces expériences motrices élémentaires de l’œil comme un facteur dans l’agrément de la forme, je ne voudrais pas en exagérer l’importance. Il faut se rappeler que les expériences du toucher et du mouvement extra-oculaire sont inséparablement fondues avec les sentiments oculaires de mouvement, même dans la perception par l’œil des éléments de forme, et ces expériences ont au moins autant de valeur que ces sentiments. Pour le reste, j’attache beaucoup de valeur au facteur intellectuel de l’appréciation de la forme, c’est-à-dire, à la coordination d’une quantité de ces éléments légèrement agréables sous des rapports d’unité et

  1. Conformément au principe du fondement esthétique de Fechner (Vorschule der Æsthetik, p. 50).