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d’une phrase vague sur la conservation et la reproduction de. la mémoire, elle substituera dans notre esprit une certaine représentation du processus extrêmement complexe qui la produit et la soutient.

Le premier point à établir est relatif au siège de la mémoire. Cette question ne peut donner lieu actuellement à aucune controverse sérieuse. « On doit regarder comme presque démontré, dit Bain, que l’impression renouvelée occupe exactement les mêmes parties que l’impression primitive et de la même manière. » Pour en donner un exemple frappant, l’expérience montre que l’idée persistante d’une couleur brillante fatigue le nerf optique. On sait que la perception d’un objet coloré est souvent suivie d’une sensation consécutive qui nous montre l’objet avec les mêmes contours, mais avec la couleur complémentaire de la couleur réelle. Il peut en être de même pour l’image (le souvenir). Elle laisse, quoique avec une intensité moindre, une image consécutive. Si, les yeux fermés, nous tenons une image d’une couleur très vive longtemps fixée devant l’imagination et qu’après cela, ouvrant brusquement les yeux, nous la portions sur une surface blanche, nous y verrons durant un instant très court l’image contemplée en imagination, mais avec la couleur complémentaire. Ce fait, remarque Wundt, à qui nous l’empruntons, prouve que l’opération nerveuse est la même dans les deux cas, dans la perception et dans le souvenir[1].

Le nombre des faits et des inductions en faveur de cette thèse est si grand qu’elle équivaut presque à une certitude et qu’il faudrait des raisons bien puissantes pour l’ébranler. En fait, il n’y a pas une mémoire, mais des mémoires : il n’y a pas un siège de la mémoire, mais des sièges particuliers pour chaque mémoire particulière. Le souvenir n’est pas, suivant l’expression vague de la langue courante, « dans l’âme » ; il est fixé à son lieu de naissance, dans une partie du système nerveux.

Ceci posé, nous commençons à voir plus clair dans le problème des conditions physiologiques de la mémoire. Pour nous, ces conditions sont les suivantes :

1° Une modification particulière imprimée aux éléments nerveux ;

2° Une association, une connexion particulière établie entre un certain nombre de ces éléments.

On n’a pas donné à cette seconde condition l’importance qu’elle mérite, comme nous essayerons de le montrer.

  1. Pour plus de détails sur ce point, voir Bain, Les sens et l’intelligence, trad. Cazelles, p. 304 et appendice D.