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saire de la conscience. Elle est pourtant capitale. Ici, nous pouvons raisonner sur des données précises. Les travaux poursuivis depuis une trentaine d’années ont déterminé le temps nécessaire pour les diverses perceptions (son = 0″, 16 à 0″, M ; tact = 0″, 21 à 0″, 18 ; lumière = 0″, 20 à 0″, 22), pour l’acte de discernement le plus simple, le plus voisin du réflexe (= 0″, 02 à 0″, 04). Bien que les résultats varient suivant les expérimentateurs, suivant les personnes, suivant les circonstances et la nature des actes psychiques étudiés, il est du moins établi que chaque acte psychique requiert une durée appréciable et que la prétendue vitesse infinie de la pensée n’est qu’une métaphore. Ceci posé, il est clair que toute action nerveuse dont la durée est inférieure à celle que requiert l’action psychique, ne peut éveiller la conscience. À cet égard, il est instructif de rapprocher l’acte nerveux accompagné de conscience du pur réflexe. D’après Exner, le temps physiologique nécessaire pour un réflexe serait de 0″, 0662 à 0″, 0578, nombre très inférieur à celui que nous avons donné ci-dessus pour les divers ordres de perceptions[1]. Si, comme le dit Herbert Spencer (Principes de psychologie, I, 220), l’aile d’un moucheron donne dix ou quinze mille coups par seconde, et que chaque coup implique une action nerveuse séparée, nous y trouvons l’exemple d’un état nerveux dont la rapidité confond et en comparaison duquel l’état nerveux qui est accompagné de conscience occupe un temps énorme. — Il résulte de ce qui précède que, tout état de conscience occupant nécessairement une certaine durée, dès que la durée du processus nerveux tombe au-dessous de ce minimum[2], une condition essentielle de la conscience manque.

Bornons-nous à ces remarques, et concluons. La question de l’inconscient n’est si vague, si embarrassée d’opinions contradictoires que parce qu’elle est mal posée. Si l’on considère la conscience comme une essence, comme une propriété fondamentale de l’âme, tout devient obscur ; si on la considère comme un phénomène qui a ses conditions d’existence propres, tout devient clair, et l’inconscient ne présente plus rien de mystérieux. Il ne faut jamais oublier que l’état de conscience est un événement complexe qui suppose un

  1. Pflüger’s Archiv, VIII (1874), p. 526. La durée des réflexes varie suivant la force de l’excitation, suivant le sens longitudinal ou transversal de la transmission dans la moelle. Cette question est d’ailleurs loin d’être élucidée.
  2. Les travaux sur la durée des actes psychiques peuvent jeter un jour nouveau sur quelques faits de notre vie mentale. Ainsi, selon moi, ils contribuent à expliquer le passage du conscient à l’inconscient dans l’habitude. Un acte est exécuté d’abord lentement et avec conscience ; par la répétition, il devient plus facile et plus rapide ; c’est-à-dire que le processus nerveux qui lui sert de base, trouvant les voies toutes tracées, se fait vite et peu à peu tombe au-dessous du minimum de durée nécessaire à la conscience.