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d. nolen. — la critique de kant et la religion

lui interdit d’étendre sa curiosité au delà des limites de l’expérience. Elle ne sait donc rien ni de l’esprit ni de la matière : ni si les deux principes ne se résolvent pas en un seul ; ni si l’âme est individuelle ou universelle ; ni si elle est distincte de Dieu ; ni enfin si elle existe. Chacune des hypothèses que nous venons d’énumérer a trouvé des défenseurs, et l’histoire du dogmatisme métaphysique n’est que le récit interminable de ces tentatives toujours vaines et toujours renouvelées. La métaphysique du criticisme fait profession de maintenir rigoureusement la raison théorique ou la pensée scientifique en dehors de ces débats ; elle se dérobe par un aveu d’ignorance absolue aux dangereuses sollicitations qui la tentent, et croit faire une œuvre plus utile en démontrant l’inanité de toutes les entreprises de l’imagination spéculative. C’est ainsi que Kant rassure la religion contre les doctrines menaçantes pour l’immortalité de l’âme, au nom de quelques principes qu’elles se produisent.

Il la met en garde en même temps contre un danger auquel elle s’est de tout temps exposée volontiers, celui d’une alliance trop étroite avec le dogmatisme idéaliste. Il semble bien pourtant qu’elle n’ait rien à redouter de la généreuse métaphysique, que le génie profondément moral de Fichte, la riche et noble imagination de Schelling, la puissante et compréhensive dialectique de Hegel ont successivement édifiée à l’aide des matériaux élaborés par la critique kantienne. L’idéalisme absolu ne réussit-il pas, en échappant aux antinomies sous lesquelles succombent la plupart des dogmatismes antérieurs, à démontrer les grandes vérités de la foi religieuse : l’action souveraine de la raison absolue, l’autonomie et l’immortalité de l’esprit ? Ou, si l’on ne veut pas aller jusqu’à Hegel, la métaphysique de Schleiermacher n’offre-t-elle pas un heureux exemple de ce que peut l’accord de la philosophie et de la foi pour la défense des grands intérêts religieux et moraux de l’âme humaine ?

S’inspirant des véritables enseignements du kantisme, Arnoldt n’a pas de peine à démêler les périls cachés de ces formes nouvelles de. la spéculation dogmatique. Au lieu de reposer sur la morale, comme le veut Kant, la religion dans ces systèmes sert à fonder la morale. Les attributs métaphysiques de l’Être suprême l’emportent sur ses attributs moraux. Et les subtilités ou les erreurs, auxquelles la pensée est exposée dans les recherches de la pure spéculation, compliquent la simplicité, obscurcissent la clarté de la loi du devoir, déconcertent et troublent la conscience. Le devoir n’apparaît plus que comme l’ordre d’une puissance supérieure ; l’espérance ou la crainte prennent la place du respect, que la loi morale devrait inspirer ; et les calculs de la dévotion se substituent au désintéressement de la