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vertu véritable. Cependant les sacrifices qu’impose le devoir n’ont tout leur prix qu’autant qu’aucun espoir de récompense ne nous sollicite ; et l’incertitude à laquelle nous condamne la métaphysique du criticisme sur Dieu et sur l’âme assure l’entier désintéressement, rehausse l’austère grandeur des résolutions et des sacrifices de la vertu. L’autonomie de la raison divine ne fait-elle pas encore oublier aux philosophes de l’absolu l’autonomie de la personne humaine ? Satisfaits d’avoir concilié dans la logique éternelle la spontanéité et la nécessité de la nature et de l’histoire, ne font-ils pas trop bon marché de la liberté de l’individu ? C’est ainsi que Hegel en arrive à ne plus voir dans les formes successives de la société que les moments nécessaires de l’évolution des choses, à déifier en quelque sorte l’État, et à subordonner les exigences de la moralité à celles de la politique. D’un autre côté, en identifiant la conscience du divin avec celle de notre dépendance vis-à-vis de l’absolu, Schleiermacher n’affaiblit-il pas dans l’homme le sentiment de son autonomie ? Avec lui, la piété court risque de n’être plus qu’un tribut de résignation ou de crainte de la créature infime au tout-puissant Créateur.

La théologie rationnelle n’échappe à tous ces dangers qu’en ne sortant pas des limites que Kant lui a tracées. Qu’elle se borne à constater la présence de l’idée de l’absolu dans la conscience humaine, à en déterminer la fonction régulative dans le développement de la connaissance ; qu’elle fasse ressortir la stérilité de toutes les tentatives faites pour démontrer la réalité et définir la nature de l’absolu soit dans l’univers, soit dans le monde physique, soit dans l’homme ; qu’elle établisse à priori, par l’analyse des lois de l’entendement, la raison logique de cette impuissance théorique : elle aura plus fait par cet aveu d’ignorance pour la cause de l’absolu, et par suite de la vérité religieuse, que les systèmes qui se flattent d’éclaircir tous les mystères, de démontrer tous les dogmes.

Si la raison pratique croit ensuite avoir des raisons d’essayer des hypothèses sur le monde de l’absolu, ou des noumènes, dont l’accès est interdit à la raison théorique ; celle-ci n’aura rien à voir dans ces postulats de la foi pratique, tant qu’ils ne se donneront pas comme des vérités de démonstration et ne prétendront qu’à servir aux intérêts de la conscience morale. Et la religion, qui n’est autre chose que l’interprète de nos besoins pratiques, bénéficiera du traité de paix que la critique aura conclu ainsi entre la raison théorique et la raison pratique, entre la science et la croyance.

Si ce traité de paix n’a pas empêché les conflits de renaître après Kant, ce n’est pas que les conditions en fussent insuffisantes ou mal déterminées. L’accord de la science et de la foi n’est pas plus près