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boirac.les problèmes de l’éducation

tement indépendantes, dans un pays démocratique comme le nôtre, où toutes les classes tendent à se rapprocher et à s’unir !

Cette situation ne semble pas avoir frappé M. Compayré. De l’enseignement secondaire, il ne voit guère que les classes supérieures, et en quelque sorte les sommets : c’est là qu’il juge que certaines réformes sont nécessaires ; nous croyons qu’elles le seraient infiniment moins si l’on réformait tout d’abord les premières classes, les classes dites de grammaire, base de tout l’édifice. C’est aussi l’opinion de l’auteur d’un livre remarquable sur la réforme de l’enseignement public en France[1]. Il croit, comme nous, que l’enseignement secondaire doit se composer de deux degrés successifs, l’un analogue à l’enseignement primaire supérieur, l’autre consacré aux études proprement classiques. On peut différer d’avis avec lui sur le rôle qu’il assigne dans cette transformation générale du système à l’enseignement secondaire spécial : cet enseignement lui-même aurait sans doute besoin de subir une transformation préalable non moins profonde, pour être capable d’un tel rôle ; mais, toutes réserves faites sur la question des moyens à employer, l’idée fondamentale nous semble juste, et les considérations dont l’auteur l’appuie dignes d’un sérieux examen.

Est-ce à dire qu’on doive supprimer ou même amoindrir la part des études classiques dans l’éducation ? C’est l’avis de bien des écrivains parmi tous ceux dont M. Compayré nous retrace les doctrines ; c’était déjà au dix-septième siècle celui de Fleury ; ce fut au dix-huitième celui de l’abbé de Saint-Pierre, de Locke, de Jean-Jacques Rousseau, de Dumarsais, de Condillac, de Diderot, etc. ; c’est de nos jours celui de M. Bain. Nous estimons au contraire, avec Stuart Mill, avec M. Compayré, que ces études doivent continuer à former la plus importante partie de l’éducation libérale. Ceux qui en contestent l’utilité n’ont-ils pas après tout été élevés par elles et ne ressemblent-ils pas à ces enfants dont parle La Bruyère qui, « drus et forts du lait qu’ils ont sucé, » ont l’ingratitude de battre leur nourrice ? Mais ceux-là même qui reconnaissent la haute valeur des lettres grecques et latines objectent les résultats médiocres qui résultent en général de leur étude, telle du moins qu’elle est pratiquée dans les collèges. Combien trouvera-t-on déjeunes gens qui, une fois sortis des bancs, soient capables de comprendre un classique latin ou grec, et surtout de s’intéresser et de se plaire dans le commerce des auteurs anciens ? La plupart ne s’empressent-ils pas d’oublier le peu qu’ils ont appris, et, s’il leur arrive

  1. La Réforme de l’enseignement public en France, par Th. Verneuil. Hachette. 1879.