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analyses. — Herbert spencer. The Data of Ethics.

seule peut servir à constituer la morale relative, c’est-à-dire à faire juger la valeur des actes, et ces jugements varient suivant les temps et les lieux. L’observation de la justice est sans doute la condition de toute coopération avantageuse, mais cette justice réelle est plus ou moins éloignée de la justice idéale.

On ne saurait donner des préceptes plus précis touchant les deux subdivisions de la bienfaisance qui s’ajoute à la justice et la complète. La bienfaisance négative consiste à se réprimer soi-même, ou à renoncer même à certaines prétentions légitimes, pour ne pas causer de peine à autrui, et la bienfaisance positive à rendre service. La première n’aurait pas de place dans une société d’hommes parfaits, et la seconde, considérée du point de vue de la morale absolue, serait fort différente de ce qu’elle est pour nous. Toutefois la morale absolue nous sert même ici, en présentant à notre conscience un idéal et en nous indiquant à quelle conciliation des divers intérêts nous devons, dans la mesure du possible, nous efforcer d’arriver. Mais l’expérience seule nous permet de décider dans les cas particuliers de la valeur des actes de bienfaisance, comme de la valeur des actes de justice.

Les principaux traits de la doctrine que nous venons de résumer étaient connus : M. Spencer, dans une lettre fameuse à Stuart Mill, les avait déjà révélés et par cela même exposés à des critiques sur les-quelles nous n’avons pas à revenir. S’il faut en effet s’enquérir plutôt de ce qu’affirme un auteur que de ce qu’il nie ou néglige, les plus résolus partisans, parmi lesquels nous voudrions être compté, de la méthode qui fonde la morale sur des principes rationnels, seront certainement frappés de l’originalité et de la force de cet épicurisme renouvelé. M. Spencer n’a pas manqué de comparer sa morale à telle ou telle science, comme l’astronomie, aujourd’hui achevée. L’hypothèse de l’évolution, complétée par celle de l’hérédité, qui lui permet de croire à une conciliation définitive du rationalisme et de l’empirisme, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre spéculatif, est bien faite pour donner à ses idées une physionomie toute particulière et à son système une couleur scientifique. Mais même en écartant ces hypothèses, qui n’ont pas encore tout le crédit souhaité par l’éminent penseur, nous ne détruirions pas la valeur de sa doctrine. Sans nous inquiéter de la conduite des animaux, ni de celle d’un homme primitif plus ou moins chimérique, ne nous est-il pas possible, par l’observation seule du monde réel où nous vivons, de constater une sorte d’évolution graduelle de la conduite, une adaptation plus ou moins avancée des facultés aux conditions d’existence ? Or c’est là l’idée maîtresse de la nouvelle doctrine. Pour quelques-uns seulement, et dans certains cas déterminés, cette adaptation est complète ; leurs actions, accomplies sans effort, sans qu’il s’y mêle le sentiment d’aucune obligation, sont morales, en ce sens qu’elles ne procurent que du plaisir et à eux-mêmes et à leurs semblables. Nous les jugeons bonnes, et nous concevons un progrès, lent, il est vrai, mais propre à déterminer une