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a montré l’universalité de cette loi. Même dans les États-Unis d’Amérique, on a observé que dans le Nord prévalent les vols et dans le Midi les homicides. » Je conteste que la règle soit sans exceptions notables ; mais, dans une certaine mesure, elle est vraie ; et les travaux de Ferri ont beaucoup contribué à en montrer la vérité. Qu’on ne se hâte pas trop cependant d’attribuer cette relation à une influence pure et simple du climat. Remarquons en effet que, dans un même climat nullement modifié, un peuple en train de se civiliser présente un accroissement proportionnel de la criminalité astucieuse ou voluptueuse et une diminution relative de la criminalité violente. Comparons maintenant ces deux relations, l’une du crime et de la température, l’autre du crime et de la civilisation. L’une semble identique à l’autre. Il y a donc ceci d’étrange à première vue que le progrès de la civilisation paraît avoir, sur la direction imprimée aux penchants criminels d’un peuple, précisément le même effet qu’aurait un refroidissement de son climat. La civilisation, par hasard, serait-elle donc un calmant nerveux de la race, comme l’est le froid ? Nous savons bien pourtant le contraire ; le propre de la vie civilisée par excellence, de la vie urbaine, est de surexciter le système nerveux autant que la vie rurale l’apaise et nourrit le muscle aux dépens du nerf. Elle agit en ce sens comme ferait, non pas un refroidissement, mais un échauffement du climat.

Comment donc expliquer la chose ? Il faut, je crois, faire intervenir ici la remarque vulgaire, si savamment et si ingénieusement développée par M. Mougeolle (dans son livre intitulé Statistique des civilisations), sur la marche de la civilisation vers le Nord. Si cette remarque générale est vraie, et assurément on ne saurait lui contester une large part de vérité, nous pouvons voir que la supériorité numérique des vols dans le Nord et des homicides dans le Midi tient, non à des causes physiques, mais à une loi historique ; non au fait que le Nord est plus froid et le Midi plus chaud, mais au fait que le Nord est plus civilisé et le Midi moins. Les pays les plus civilisés à un moment donné sont, en effet, ceux où la civilisation est de date plus récente. Ce sont les pays septentrionaux en général, comparés aux nations et aux provinces méridionales. En se communiquant à des races moins fines et plus fortes, moins nerveuses et plus musculeuses, la contagion civilisatrice étonne le monde par l’éclat remarquable de ses phénomènes ; et, se déployant extraordinairement sur ces terres vierges, elle y produit maintenant, mais avec plus d’intensité encore, les changements déjà accomplis par elle dans les lieux d’où elle paraît émigrer, et où, à vrai dire, elle se maintient, mais sans progrès ou en déclinant. Entre autres effets de ce genre, elle