Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/12

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
revue philosophique

tout. Les deux ne diffèrent point sensiblement ; et les départements les plus foncés, comme les plus clairs, sont à peu près les mêmes dans l’un et dans l’autre. Notons que cinquante ans de statistique sont là condensés. — Mais, si un travail pareil eût pu être fait au VIe siècle de notre ère, au temps où Arles était une grande ville de 100,000 habitants entourée d’une constellation rayonnante de cités romaines, et où Lutèce était une bourgade isolée, il est à présumer que la carte des homicides, au lieu de présenter une dissémination indifférente de ses teintes, n’eût pas manqué d’être beaucoup plus sombre à l’endroit des rudes tribus germaines du Nord, que parmi les Celtes romanisés du Midi.

Si la criminalité contre les personnes en France n’est pas plus marquée dans le Midi qu’au Nord, le rapport de cette criminalité à celle contre les propriétés dans un même département donne lieu à une remarque intéressante. Il n’y a que 7 départements, tous montagneux et pauvres, où les crimes contre les personnes égalent et excèdent en nombre les crimes contre les propriétés : à savoir les Hautes-Alpes, la Savoie, l’Aveyron, la Lozère, les Basses-Alpes, les Pyrénées-Orientales et la Corse. Dans les 79 autres, la proportion inverse se remarque. Ici, est-ce l’importance de la latitude qui apparaît ? Non, ce serait plutôt celle de l’altitude. Mais il est bien clair que la véritable explication est tirée de l’état social. À propos de suicide, M. Morselli, dans son bel ouvrage, s’est efforcé de découvrir une influence analogue de la latitude et de l’altitude, voire même des formations géologiques. Mais il est contraint de reconnaître, avec sa bonne foi supérieure, le peu de fondement de ses conjectures. À l’inspection de ses cartes, il est évident, de son propre aveu, que le centre de l’Europe l’emporte sur le nord par la fréquence de ses suicides, et que, dans les parties centrales, il y a deux foyers d’irradiation, à savoir Paris et le cœur de l’Allemagne, autrement dit les deux foyers continentaux de notre civilisation européenne. Si le troisième, Londres, qui est insulaire, échappe à la contagion, c’est sans doute à cause du caractère religieux, traditionnaliste, plus original aussi et moins mélangé de la civilisation anglaise. Quoi qu’il en soit, il est clair que la distribution géographique du suicide s’explique sociologiquement, non géographiquement ; et je crois qu’il faut en dire autant de celle du crime.

Ai-je entendu nier dans ce qui précède l’influence provocatrice de la chaleur sur le déchaînement des instincts violents et sanguinaires ? Nullement. Je sais que le maximum de la criminalité contre les personnes, c’est-à-dire des crimes de sang, correspond, dans un même pays donné, au printemps, sinon à l’été, comme celui de la crimi-