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TARDE. — problèmes de criminalité

nalité contre les propriétés à l’automne, sinon à l’hiver ; et ce contraste chronologique n’est évidemment pas susceptible du genre d’interprétation auquel je viens de soumettre le contraste géographique analogue. Il révèle clairement une provocation indirecte, il est vrai, exercée par les hautes températures sur les passions malfaisantes, et analogue à celle de l’alcool, que la statistique manifeste aussi. Cette cause doit donc entrer pour quelque chose dans le contraste géographique lui-même, mais ici elle s’absorbe dans l’action prépondérante et plus directe de la civilisation relativement élevée[1]. Et il y a cette différence entre les deux que l’une, l’explication physique du crime, perd chaque jour de son importance au cours du progrès humain, tandis que l’autre, l’explication sociale, ne cesse de devenir plus profonde et plus complète à elle seule. Voilà pourquoi les grandes gelées et les grandes sécheresses, et en général le cours des saisons, influent moins sensiblement, et les crises politiques agissent plus fort sur la courbe annuelle des crimes, et aussi bien des suicides, des naissances et des mariages, dans les milieux urbains que dans les milieux ruraux. Il convient de remarquer aussi que l’alcoolisme agit sur la criminalité dans le même sens que le climat chaud ou la saison chaude. Mais précisément cette honteuse habitude de l’ivrognerie, cause toute sociale à coup sûr, et par les inventions primitives qui l’ont rendue possible, et par la diffusion des exemples qui l’ont établie, se répand de manière à contre-balancer plutôt qu’à renforcer l’action thermique. En effet, c’est dans la saison froide qu’on s’enivre le plus, et c’est aussi dans les climats froids. La carte d’Yvernès sur l’ivresse est très nette à cet égard (comme sa carte sur la récidive) ; les teintes s’y assombrissent par degrés à mesure qu’on s’élève aux départements du Nord, sauf des exceptions qui confirment la règle, par exemple le Puy-de-Dôme, le Cantal, la Lozère, les Alpes-Maritimes, etc., et autres pays montagneux, froids, quoique méridionaux. Il tend donc à s’établir, grâce à l’alcoolisme toujours croissant dans le Nord, un nivellement de la criminalité violente, favorisée dans telle latitude par le climat, dans telle autre par le vin, l’alcool ou la bière. On peut croire que les populations septentrionales sont aussi fortement poussées aux crimes de sang par leur ivrognerie endémique et traditionnelle que les populations méridionales par leur soleil. Si donc les premières se retiennent plus souvent sur la pente

  1. Dans une même région, ce sont, non pas les parties les plus chaudes, mais précisément les plus froides, c’est-à-dire les montagnes, qui présentent la criminalité violente la plus élevée. Par exemple, dans le midi de la France, les Pyrénées-Orientales, l’Ardèche, la Lozère, sans parler de la Corse. C’est que les pays montagneux sont les moins civilisés.