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TARDE. — problèmes de criminalité

civilisation égyptienne qui s’est développée du Nord au Sud, de Memphis à Thèbes, contrairement à la direction générale. À cela l’auteur ne répond rien[1], ou presque rien. Il est plus heureux à l’égard d’une difficulté non moins grave que soulève la marche des civilisations américaines antérieures à la conquête. Ici, la civilisation née du reste dans la zone torride aussi bien que dans l’ancien monde, c’est-à-dire au Guatemala, au Yucatan, à Tabasco, passe plus tard à des territoires plus rapprochés encore et non plus éloignés de l’équateur, à Mexico, à Bogota, à Cuzco, à Quito[2]. Mais on nous fait judicieusement remarquer que le progrès en altitude a dispensé ici du progrès en latitude, et que cela revient au même sous le rapport thermal. Les civilisations mexicaine et péruvienne ont eu pour siège des plateaux de 2 à 3,000 mètres au moins d’élévation, où la température moyenne était de 15 à 16 degrés. Cette exception « à la direction et au sens général du déplacement de la civilisation ne fait donc que confirmer la généralité de la loi thermique ». Et l’auteur se croit autorisé à conclure « qu’il y a une relation constante, nécessaire, entre le développement successif des civilisations dans le temps et la marche des isothermes à la surface de la terre. »

Cela est spécieux de précision en matière si vague habituellement. Mais, tout en faisant sa part à cette généralisation un peu hâtive, il faut, je crois, avec tous les égards dus à une œuvre de mérite et de savoir, la remettre à sa place. N’en serait-il pas de cette direction septentrionale de la civilisation comme de sa direction occidentale, dont il a été aussi beaucoup parlé ? Longtemps, en même temps qu’elle allait du Sud au Nord, la lampe du genre humain a été de l’Est à l’Ouest, et cette autre orientation a été jugée non moins fatale, jusqu’aux temps modernes où, ayant atteint la France et l’Angleterre dans cette voie, elle s’est mise à rétrograder vers l’Allemagne et la Russie, vers ses sources même, l’Italie, la Grèce, l’Inde enfin et le Japon. Il est vrai que l’Amérique, qui est l’Extrême-Occident pour nous, et où la civilisation venue de l’Est se propage sur son propre territoire de l’Est à l’Ouest, peut être citée comme une confirmation éclatante de la tendance dont il s’agit. Mais que prouve ce mouvement opposé au précédent, et simultané, sinon qu’un type quelconque de civilisation, quand il s’est fixé et organisé quelque part sous la forme d’une grande cité florissante, aspire à se répandre, à s’essaimer de tous côtés, vers tous les points cardinaux, soit par ces

  1. Voir la note de la p. 216.
  2. L’objection, il est vrai, serait tout autrement insurmontable, si l’on admettait avec divers américanistes (voy. l’ouvrage de M. de Nadaillac, p. 263) que l’Amérique a été primitivement civilisée du Nord au Midi.