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de la cruauté, si l’Anglais, par exemple, tout en consommant beaucoup plus d’alcool, est seize fois moins meurtrier que l’Italien[1], ce résultat me semble dû surtout à la supériorité de culture sociale dont le Nord aujourd’hui donne le spectacle.

En un mot, si la civilisation était à son apogée, on peut croire que l’influence des saisons et des climats sur la criminalité serait une quantité presque négligeable et que les influences sociales seules mériteraient examen. Attachons-nous, par suite, à celles-ci. Mais, me dira-t-on, l’explication physique de la criminalité n’est que reculée dans votre manière de voir, puisque, si la moindre violence criminelle des pays les plus froids est due à leur civilisation supérieure, la supériorité de celle-ci s’explique à son tour par son progrès du Sud au Nord, dont la différence des climats paraît seule rendre compte. — C’est le moment, pour répondre, d’examiner de près cette loi thermique de l’histoire, et de voir si elle ne dériverait pas de quelque cause toute sociale au fond, malgré son expression physique. Mais d’abord, rendons cette justice à M. Mougeolle qu’il n’a rien négligé pour lui prêter toute la précision et la solidité désirables. Traçant sur une mappemonde quatre ou cinq des principales lignes isothermes entre la zone torride et la zone glacée, il montre ou s’efforce de montrer que chaque couple d’entre elles enserre, ou même que chacune d’elles relie à très peu près les diverses grandes capitales où se concentrait et d’où rayonnait la civilisation à une même époque de l’histoire[2], et que l’ordre de succession de ces époques, de ces foyers civilisateurs tour à tour allumés et consumés est précisément donné par la superposition de ces lignes à partir des tropiques. Sur le même isotherme, à la plus ancienne période connue, nous voyons fleurir Memphis et Babylone ; plus haut, Ninive, Tyr, Athènes, les premières villes chinoises, Nan-King et Hang-tchéou-fou ; plus haut, Rome ; plus haut, Constantinople, Cordoue, Venise ; enfin, dans la zone tempérée de nos jours, Londres, Paris, Berlin, Vienne, ajoutons Pékin. Au delà « s’étend une zone qui comprend les parties civilisées de la Scandinavie et de la Russie, pays les derniers arrivés à la vie européenne. » Dans le détail, c’est surtout la carte isothermique du bassin de la Méditerranée qui paraît confirmer la loi. Il y a cependant des objections ; par exemple, l’histoire de la

  1. Cette différence, d’après Garofalo, s’explique par celle des races. Encore une illusion, je crois. Une coutume nationale, qui n’est pas exclusivement propre, il s’en faut, à la race italienne, celle de la vendetta, explique suffisamment la criminalité violente de cette nation. Mais il m’en coûte de ne parler de M. Garofalo que pour le contredire ; et je profite de cette occasion pour louer la hauteur judicieuse de vues qui est remarquable dans son ouvrage.
  2. Voir les figures tracées p. 223 et p. 226.