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TARDE. — problèmes de criminalité

l’Orient et du Midi. — Au demeurant, rien de plus simple que l’espèce de nécessité momentanée à laquelle la civilisation ou plutôt les civilisations ont obéi en se dirigeant au Nord pendant si longtemps. En effet, elles devaient naître dans les régions chaudes, sous les tropiques, là où des ressources naturelles plus abondamment offertes à l’homme lui laissaient des loisirs plus nombreux, et où une faune et une flore plus riches exaltaient sa curiosité. Malgré le proverbe : « Nécessité, mère de l’industrie, » la beauté des spectacles, propre aux pays chauds, et non l’intensité des besoins propre aux pays froids, a pu seule au début éveiller l’imagination humaine, si l’on en juge par le caractère esthétique de ses premières créations, langues et mythologies, d’où toute industrie procède indirectement. Mais, contagieux par nature, le génie humain ne pouvait rester enfermé dans son berceau tropical : forcé d’en sortir pour se conformer à sa propre loi, il a abordé naturellement des terres de plus en plus froides, d’autant mieux que les inventions déjà faites dans un climat favorisé permettaient à l’homme de s’adapter aux conditions de climats plus rudes ou plus inégaux. Par exemple, selon toutes probabilités, les inventions relatives au vêtement ou à l’habitation, tissage et couture, briquetterie et architecture, qui seules ont rendu possible le séjour de l’homme dans les terres tempérées, ont pris naissance dans les pays chauds, où à la rigueur on eût pu s’en passer. Il n’est pas surprenant d’ailleurs que chacune de ces transplantations ait été marquée par un progrès, si l’on songe qu’en tout organisme la perfectibilité est le privilège de la jeunesse. En tout cas, il est permis de croire que le déclin presque fatal, au moins relatif, de la civilisation aux lieux où elle a longtemps fleuri, et son expatriation presque forcée, ont des causes avant tout sociales, entre autres, par exemple, le haut prix, toujours croissant, finalement abusif, des terres dans les pays où la population, en se civilisant, se condense. Ce qui se passe de nos jours, la concurrence victorieuse des terres américaines, contre laquelle ne sauraient lutter les propriétaires du vieux continent européen, condamné dès lors à une ruine inévitable dans un temps donné, a dû se passer souvent jadis, même dans le plus lointain passé, sur une échelle plus réduite. Ajoutons-y l’épuisement du sol et l’épuisement de la race.

Telles sont les considérations d’où je me permets de conclure, en résumé, que la moindre criminalité violente des pays septentrionaux tient à un fait social, la direction longtemps septentrionale de la civilisation, et que ce fait lui-même a une cause sociale, la force de propagation imitative dans tous les sens. Si, en Italie, la différence entre les provinces du Nord et celles du Midi au point de vue des crimes