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TARDE. — problèmes de criminalité

mariage agit ou paraît agir sur ces deux forces redoutables en les affaiblissant à la fois, au lieu de stimuler l’une et d’entraver l’autre. À propos de l’influence des saisons et de l’heure de la journée, je ferai remarquer incidemment que l’action physique pourrait bien recouvrir ici et masquer une action sociale. Le maximum des suicides a lieu, non pas à midi, mais dans les heures les plus affairées de l’après-midi, le minimum à minuit. La lumière et la chaleur sont pour peu de chose sans doute dans ce résultat. Ce maximum tombe également, non pas dans les mois les plus chauds, mais en mai ; ce minimum en novembre. Constamment, en outre, la courbe annuelle des suicides est accidentée par un relèvement momentané en janvier, fait inexplicable autrement que par l’intervention d’un facteur social, l’échéance de fin décembre à affronter et le cap du 1er janvier à franchir. Supposez que l’année sociale commence le 1er avril et non le 1er janvier, l’accident de la courbe en question sera certainement déplacé. Le pendant de ce petit phénomène nous est offert par la courbe annuelle des infanticides, où nous voyons une élévation brusque se produire neuf mois après le carnaval, en novembre. S’il eût plu aux organisateurs de notre religion de placer le carême en octobre et non en mars, la silhouette de ce tracé serait donc différente. — La statistique montre de plus la part toujours croissante des influences sociales et l’amoindrissement relatif des influences physiques ou vitales, au cours de la civilisation. En ce qui concerne le suicide, par exemple, la distance entre le maximum et le minimum dont je parlais tout à l’heure va s’atténuant, du moins en France, c’est-à-dire qu’on se tue proportionnellement plus en hiver maintenant qu’autrefois, et moins en été. Dans les grandes villes, cet écart est plus faible que dans les campagnes. Il est plus fort en Italie qu’en France. De toutes les influences d’ordre naturel, la seule qui, au lieu de s’effacer, s’accuse davantage au cours de la civilisation, c’est celle du sexe. La différence numérique entre les suicides masculins et féminins est d’autant plus forte qu’il s’agit de nations ou de classes plus civilisées. Par exemple, en France, les femmes de la ville ne fournissent que les 18 centièmes du chiffre total, pendant que les femmes de campagne donnent 20 centièmes. Il en est de même en Italie, en Prusse, en Suède, en Norvège, en Danemark. La civilisation ne tend donc nullement à égaliser les sexes. C’est qu’elle est, je crois, chose essentiellement masculine ; et voilà peut-être pourquoi, soit dit en passant, elle est au fond si antipathique à ceux qui en profitent le plus, aux poètes, aux artistes, à tous les esprits essentiellement « femmelins » tels que Rousseau et Chateaubriand.

Legoyt, dans son consciencieux ouvrage, établit (p. 258) entre le