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France, la courbe de l’homicide, horizontale et à peine dentelée, correspond en général et ne s’oppose nullement aux accidents plus accentués de la courbe du suicide, fortement ascendante. Ajoutons que, la carte du suicide par département français, si on la compare à la carte des homicides, ne présente dans l’ensemble aucun rapport inverse avec celle-ci. La coïncidence de ces deux résultats, l’un relatif au temps, l’autre à l’espace, est significative.

Je dois reconnaître pourtant que, en ce qui concerne l’Irlande, l’inversion signalée est vraiment digne de remarque. Ce n’est pas qu’elle soit complète : les deux courbes montent, seulement l’une un peu, l’autre beaucoup. La côte la plus raide est celle de l’homicide, singularité unique qui suffit à nous révéler la situation tout à fait à part de ce malheureux pays, où la misère est si grande et la haine mutuelle si exaltée, qu’une quote-part annuelle de la population y est condamnée à sortir par l’une de ces trois portes, l’émigration, le suicide ou le meurtre. Si l’une se resserre, les autres doivent s’élargir d’autant. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, cette exception insulaire ne me paraît pas tirer à conséquence.

En second lieu, s’il y avait réellement entre l’homicide et le suicide la corrélation compensatoire qu’on imagine, on verrait l’un baisser en général dans l’ensemble des États civilisés, à peu près aussi rapidement que l’autre s’élève. Mais on sait que l’homicide est, ou peu s’en faut, stationnaire, pendant que le suicide grandit avec une rapidité et une régularité effrayantes, qui attestent l’action d’une cause exclusivement propre au triste phénomène en question, et la d’une cause d’ordre social. En cela, et par bien d’autres traits, marche du suicide est analogue à celle de la folie. À vrai dire, il y a les mêmes raisons statistiques d’établir entre la folie elle-même et l’homicide la relation indiquée. Mais, poussée à cet excès, la thèse montre sa faiblesse. Que signifierait ce rapprochement ? Que la démence est une soupape de sûreté contre le crime ? Il serait étrange que cette soupape de sûreté involontaire se développât du même pas et de la même manière que le suicide, exutoire volontaire en grande partie, avec lequel elle ferait double emploi.

Poursuivons. Si l’inversion imaginée était réelle, on ne verrait pas certaines causes, notamment la température, influencer l’homicide et le suicide dans le même sens. Le retour de la saison chaude, le printemps, marque également le maximum des deux. La progression à l’homicide comme au suicide va de même en augmentant au cours de l’âge, jusqu’à 30 ou 40 ans ; puis, le penchant au crime diminue il est vrai, tandis que la tendance au meurtre de soi-même ne cesse de croître jusqu’à l’âge le plus avancé. Enfin, l’influence du