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écrit en noir m’apparaissent aussi, je les vois en blanc. Toutes mes représentations de mots sont surtout visuelles. Pour retenir un mot que j’entends pour la première fois, il me faut lui donner tout de suite une orthographe ; de même, quand j’écoute une conversation qui m’intéresse et que je veux me rappeler, il m’arrive souvent de me représenter au fur et à mesure la conversation écrite. »

Il est facile de voir, par ce dernier cas, que les images visuelles ne jouent pas seulement un rôle accessoire ici, dans le langage intérieur. Cela résulte du fait qu’elles s’associent étroitement au sens des mots et qu’elles sont nécessaires à la conservation des phrases et des idées.

En général, toutefois, les signes visuels ne paraissent pas d’une importance prépondérante pour la parole intérieure et d’une manière générale dans la mémoire des mots. J’ai cherché un fait pathologique qui puisse établir le rôle des souvenirs visuels. J’ai trouvé peu de chose. Il faudrait, pour prouver que les signes visuels peuvent suffire à la parole intérieure, trouver un cas de surdité verbale dans lequel le malade serait aussi aphasique au sens propre, aurait perdu la mémoire motrice et pourrait cependant comprendre l’écriture ou l’imprimé. D’après Kussmaul[1], la surdité verbale est moins fréquente que la cécité verbale ; je trouve toutefois dans un intéressant article de M. Féré, Les troubles de l’usage des signes, l’indication suivante : Le malade atteint de surdité verbale « cherche à compenser son défaut de perception auditive par l’application de ses souvenirs visuels et de ses souvenirs moteurs… La surdité verbale ou psychique peut exister à l’état de symptôme isolé ou peu s’en faut une malade de M. Giraudeau comprenait facilement les questions qu’on lui posait par écrit et y répondait correctement. Le plus souvent pourtant, elle est combinée avec d’autres troubles de l’expression ou de la perception, elle se complique très fréquemment d’amnésie verbale[2]. »

M. Féré, comme M. Ch. Bastian[3], admet d’ailleurs que les impressions visuelles comme les impressions auditives et les impressions de mouvement (sans rien préjuger ici sur la nature de ces dernières) ont un rôle dans la formation et dans l’emploi des mots. On ne peut guère, il me semble, attribuer aux impressions visuelles qu’un rôle relativement assez faible. Ce que nous avons vu ci-dessus ne nous autorise nullement à dire qu’elles peuvent suffire à la repré-

  1. Kussmaul, Les troubles du langage, trad. franç., p. 228.
  2. Revue philosophique, juin 1884, p. 600.
  3. Le cerveau et la pensée, t.  II, 245. Trad. franç.