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PAULHAN. — le langage intérieur

Qu’est-ce qu’une image sonore abstraite, sans timbre ? Je sais que je contredis certaines théories généralement admises sur la nature des images. Cependant je crois être sûr de mon fait en appelant ma parole intérieure une image auditive, et voici mes raisons. D’abord j’ai le témoignage du raisonnement inconscient, de la perception, pour mieux dire du sens intime qui me fait classer ces phénomènes parmi les images auditives. J’avoue que cela n’est pas un argument sans réplique, il pourrait se faire que je me fusse trompé dans ma classification (si spontanée que soit la perception, elle implique une induction, c’est-à-dire une possibilité d’erreur). Mais j’ai des preuves indirectes que c’est bien une image auditive vague qui s’élève en moi quand je me représente sans grande attention un mot ou une phrase, c’est que si je fixe mon attention sur le mot, ou si je me trouve dans des circonstances particulières, l’image sonore s’accentue davantage et se rapproche de plus en plus de la parole extérieure sans changer précisément de nature. D’autres qualités viennent se joindre à celles qui existaient déjà, et celles qui existaient déjà s’accentuent davantage, mais elles ne disparaissent pas, et, puisque ma représentation en se complétant devient un phénomène auditif concret, c’est donc qu’elle était un abstrait de l’image auditive.

Ces images auditives abstraites me paraissent rappeler entièrement à de certains égards les phénomènes désignés dans l’ouvrage de Baillarger sur les hallucinations, du nom de hallucinations psychiques. Dans quelques cas au moins, la ressemblance est évidente. Remarquons d’abord que les hallucinés dont il est question, alors qu’ils sont sujets à des hallucinations de l’ouïe, disent entendre des voix, seulement ces voix sont d’une nature toute particulière. Il y a ici une alliance étrange entre les mots dont se servent ceux qui décrivent ces hallucinations et l’idée qu’ils veulent exprimer. Ils affirment que le sens de l’ouïe n’est pour rien dans le phénomène, et ils parlent de voix entendues. À propos de certaines hallucinations de ce genre dans le rêve, M. Baillarger s’exprime ainsi : « Pour exprimer rigoureusement ce qu’on éprouve, on ne peut que répéter avec les malades dont j’ai parlé plus haut qu’on n’entend alors que la pensée[1]. » On peut rapprocher de cela une lettre de M. le professeur Henle à M. Stumpf, lettre citée par M. Stricker au sujet de la représentation interne des mélodies. « Les mélodies, dit M. Henle, se jouent d’une manière abstraite qui ne rappelle aucune nuance de

  1. Baillarger, Des Hallucinations, p. 386.