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PAULHAN. — le langage intérieur

tance de l’image auditive, ils semblent prouver aussi que l’image auditive peut, si elle est conservée, suffire à la parole intérieure. C’est donc cette question que nous allons examiner.

M. Stricker, dans un livre que j’ai eu déjà l’occasion de citer, a voulu établir cette théorie que la parole intérieure était un phénomène purement moteur. D’après lui, les représentations des sons, les images auditives qui viennent s’y joindre ne sont pas une partie essentielle du phénomène qui implique toujours un élément moteur. Nous ne nous sommes pas encore occupés des images motrices, sur lesquelles nous reviendrons tout à l’heure, mais il convient d’examiner ici, à propos des images auditives, si l’image auditive seule ne peut pas suffire à la parole intérieure, et s’il faut admettre également la nécessité de l’image motrice et conséquemment la subordination du souvenir purement sonore.

Nous avons fait abstraction ici du fait que le langage a une fonction symbolique, cependant nous avons toujours sous-entendu que cette fonction est réelle. En effet, si cette fonction n’existait plus, si le mot n’était plus signe, le langage n’existerait plus ; par conséquent, tout en examinant les caractères propres des phénomènes du langage comme phénomènes psychologiques particuliers, nous devons nous souvenir de n’étudier que des phénomènes, quelle que soit d’ailleurs leur nature, qui sont des signes. Ce ne serait plus étudier la parole intérieure que d’étudier les images auditives ou motrices, si ces images n’étaient pas des signes, si elles ne se rattachaient aux idées par une association étroite. Le problème de savoir si l’image auditive peut suffire à la parole intérieure se ramène donc à celui de savoir si l’image auditive est par elle-même directement associée aux idées, aux autres images, aux autres faits, en un mot, dont le langage doit être le signe. Mais ce rapport, qui me paraît explicitement démontré par quelques cas pathologiques, me semble devoir être implicitement admis pour toute représentation de mots. L’expérience montre, en effet, que, lorsque les mots ne sont pas compris alors qu’il s’agit bien entendu d’un mot connu, ils ne sont pas non plus entendus. Tout le monde a pu remarquer que les paroles d’un chant ne sont distinctement entendues que si on les connaît à l’avance, c’est-à-dire si on les a associées à leurs objets. De plus, dans la maladie qu’on a désignée du nom de surdité verbale, il arrive que les mots ne sont perçus que comme un murmure indistinct. Pour M. Stricker, d’ailleurs, le phénomène moteur n’est pas indispensable seulement à un discours intérieur, mais aussi à la représentation d’un mot et même d’une lettre. Nous avons donc à voir si l’image auditive peut suffire à ces divers emplois. Commençons par les plus simples.