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phénomène réflexe, une conséquence de l’excitation sensorielle primitive. Les sensations dont est accompagnée une telle innervation, quelque nettes qu’elles puissent être, ne sauraient donc constituer la trame du phénomène du langage[1]. »

M. de Watteville, d’ailleurs, admet que les mémoires motrices jouent un rôle dans la parole intérieure. Et en effet, quelles que soient les objections que j’ai adressées à la théorie de M. Stricker, que je trouve incomplète et trop absolue, je reconnais volontiers que ses recherches consciencieuses m’ont fait admettre que l’importance de l’élément moteur est plus grande que je ne l’aurais cru tout d’abord. Pour M. Stricker, toute image d’une phrase est non pas une sorte d’audition, mais une sorte de prononciation interne ; de même, Bain a dit : « Quand nous nous rappelons le souvenir d’un mot ou d’une phrase, si nous ne les prononçons pas, nous sentons les organes s’agiter jusqu’au moment où ils seraient arrivés au bout. Les parties qui articulent, le larynx, la langue, les lèvres, sont sensiblement excitées ; une articulation supprimée est la matière du souvenir, la manifestation intellectuelle, l’idée de la phrase. » M. Stricker a développé sa théorie beaucoup plus que ne l’avaient fait les auteurs dont les vues se rapprochent des siennes. Il cite des faits très intéressants qui montrent la place considérable que tiennent chez lui les images motrices, et leur grande prépondérance par rapport aux images auditives. Il est porté à croire que les images motrices se produisent même pendant qu’il lit et pendant qu’il écoute parler. Ainsi, dit-il, « c’est indubitablement par l’ouïe surtout que j’ai appris l’italien. Je connais les personnes avec lesquelles, et les circonstances dans lesquelles j’ai appris cette langue. Je suis parvenu à force d’exercice oral et auditif au point de pouvoir penser assez facilement en italien, et cependant ce n’est jamais en images auditives que je pense, si je ne me souviens pas intentionnellement de certaines personnes et de certaines conversations.

« J’en dois dire presque autant de l’anglais. Abstraction faite de certains rudiments, c’est par la conversation que j’ai appris cette langue. Si je me mets à réfléchir en anglais, je ne fais que reproduire des représentations orales motrices. »

« Tous ces faits seraient incompréhensibles si je n’accompagnais par l’ouïe des paroles, des représentations orales motrices. » On pourrait certainement discuter cette dernière assertion, mais tout le livre de M. Stricker donne la conviction que chez lui, comme

  1. De Watteville, Note sur la cécité verbale, p. 3. Voir une objection de M. Egger sur l’observation du moment à propos de la théorie de Bain dans La parole intérieure, p. 79.