Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
PAULHAN. — le langage intérieur

gence et la mémoire, mais ne pouvait parler. Il suppléait la parole par des gestes, et se mêlait à tous les jeux de ses camarades ; il pouvait écrire couramment à la lecture et à la dictée, ou traduire correctement ses pensées en écrivant. Il avait conservé une certaine paralysie de la face. »

Nous sommes donc conduits à penser que l’image auditive est suffisamment liée par elle-même à la pensée pour pouvoir la rappeler sans le secours des images de mouvement ; je ne crois pas qu’on pense en général qu’elle ait besoin des images visuelles ; il est donc admissible qu’elle peut suffire à constituer un langage intérieur. On peut se demander si elle est nécessaire à ce langage. Il est permis de croire que le langage intérieur de tous ceux qui ont habituellement présentes à la conscience des images auditives serait considérablement troublé par la perte de ces images. Toutefois, nous ne pouvons admettre que l’imagination auditive soit absolument nécessaire à la formation d’une parole intérieure, puisque les sourds-muets arrivent à se faire un langage soit au moyen des images visuelles, soit au moyen des images tactiles et motrices.

§ 3. Images de mouvement. — On a beaucoup discuté sur la nature de nos représentations du mouvement : accompagnent-elles les phénomènes cérébraux qui excitent l’activité des muscles, et sont-elles centrifuges ; proviennent-elles, au contraire, des impressions données par le mouvement lui-même, et ont-elles une origine centripète ? Je n’entrerai pas ici dans cette discussion. Les théories de Bain, de W. James, de Ch. Bastian, de Ferrier sont assez connues, et je ne puis espérer trancher la question par des raisons décisives. Il n’en reste pas moins que nous avons des représentations de mouvement. Ces représentations servent-elles à la parole intérieure ?

Leur utilité peut évidemment être très considérable ; nous avons vu chez M. Montchal la prépondérance de l’image visuelle dans les représentations des mots, nous avons vu chez M. Egger la prépondérance de l’image auditive, nous voyons chez M. Stricker la prépondérance à peu près exclusive de l’image motrice. Nous avons vu que, à mon avis, l’importance générale qu’il accordait à ces images était trop considérable. M. de Watteville indique une cause possible d’erreur dans l’observation des images motrices. M. de Watteville accepte la théorie qui fait de l’attention un phénomène des centres moteurs ; parlant de la théorie de la parole intérieure de M. Stricker, il ajoute : « La preuve qu’on a voulu en donner par l’observation psychologique introspective nous paraît illusoire, en ce qu’elle introduit l’élément en question par le fait de l’attention. L’innervation motrice qui constitue la lecture ou la pensée « à voix basse » est un