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PAULHAN. — le langage intérieur

Nous avons déjà vu que, quelque importantes que soient les représentations de mouvement, les théories qui refuseraient d’admettre un autre élément dans le phénomène de la parole intérieure sont inacceptables. Ce n’est pas à dire cependant que la parole intérieure motrice ne soit prépondérante chez quelques personnes au point peut-être que les représentations de mots ou de phrases comprises ne pourraient avoir lieu sans les représentations des mouvements correspondants.

C’est un fait bien connu que telle ou telle mémoire, tel ou tel ordre d’images est beaucoup plus développé chez certaines personnes que chez d’autres. Il n’est pas bien surprenant, il est même entièrement conforme aux lois connues de l’association psychologique, que les idées, c’est-à-dire en somme des images, des résidus d’images et des tendances plus ou moins nettes au mouvement, s’associent plutôt, comme à des signes et à des substituts particuliers, aux images qui sont le plus fréquentes chez une personne donnée en raison de sa constitution mentale propre. Et même la signification, la substitution sont un résultat de cette association. Le langage intérieur n’étant que l’emploi de certaines images ou résidus comme substituts d’autres images, de sensations et de tendances, il est évident que le langage intérieur devra différer avec les individus et selon les habitudes particulières de l’imagination de chacun. Il se peut que les idées étant plus particulièrement reliées chez telle ou telle personne aux images visuelles, auditives ou motrices, ces images particulières deviennent les substituts habituels de la pensée, constituent comme une sorte de centre psychique des forces mentales, et que leur disparition entraîne une impossibilité de l’usage du langage intérieur et une gêne considérable pour l’intelligence. Nous pouvons donc, par conséquent, être d’accord avec M. Stricker quand il dit : « Chez moi et probablement chez tous ceux qui ne sont pas particulièrement doués pour la musique, les impressions motrices se fixent mieux que les impressions auditives, ce qui fait que je ne me souviens des mélodies qu’au moyen des représentations motrices. Et si, d’un autre côté, je devenais aphasique, si quelque région motrice devenait malade dans mon écorce cérébrale, il en serait probablement fait de ma provision de mélodies[1]. » Seulement nous admettons également, comme les faits cités plus haut nous y autorisent à mon avis, que chez d’autres personnes un effet analogue au point de vue de la parole intérieure pourrait être produit par la perte des images auditives ou des images visuelles. Peut-être dans l’un et dans l’autre cas

  1. Stricker, Ouvr. cite, p. 174.