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aussi la perte ne serait-elle que momentanée, et un nouveau centre de compréhension et de souvenir se formerait-il par de nouvelles associations établies entre les idées et des images d’une autre nature que celles qui ont disparu. C’est par une substitution de ce genre que les aveugles qui apprennent à lire apprennent à substituer des images tactiles ou motrices aux images visuelles, dans l’association de ces dernières avec les images auditives ou motrices et les idées, telle que la produit l’exercice de la lecture.

On peut se demander encore si l’image motrice est suffisante pour constituer une parole intérieure (c’est-à-dire pour réveiller les idées par association, en l’absence d’image auditive. Je ne puis pas observer chez moi ce phénomène, mais les observations de M. Stricker paraissent prouver qu’il peut en être ainsi.

Nous avons à peu près terminé cette étude analytique des phénomènes qui composent la parole intérieure en tant que cette parole intérieure consiste dans la reproduction affaiblie de la parole extérieure avec tendance à la reproduire. Mais s’il y a une autre sorte de langage intérieur dont on s’est peu occupé, parce qu’il est moins apparent, j’espère pouvoir en établir l’existence tant par mes propres observations que par l’interprétation de quelques faits connus. Nous pourrions auparavant, pour en finir avec cette partie de notre sujet, dire quelques mots de certaines formes particulières de la parole intérieure telle qu’elle se présente par exemple chez les sourds-muets. Évidemment, ici, le mécanisme général est le même ; seulement, les images acoustiques n’existant probablement pas, les signes de la pensée sont seulement des images tactiles, visuelles et motrices. Je ne crois pas devoir insister, quel que soit l’intérêt réel que présente le sujet.

III

Nous avons à nous occuper maintenant d’une autre forme de la parole intérieure, ou plutôt du langage intérieur. Il ne s’agit plus en effet ici de mots prononcés ou entendus, mais bien d’un système de signes peu apparents pour le sens intime, de représentations abstraites qui font un service analogue à celui de mots et qui quelquefois se substituent à eux, et remplissent par rapport à eux le même office que remplissent les mots par rapport aux sensations et aux images. Mon langage intérieur m’apparaît comme un mélange de mots intérieurement prononcés ou entendus, et de signes abstraits.