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par la phrase comme nous le serions par le fait lui-même, non pas précisément au point de vue de la sensation et de l’image, mais surtout au point de vue de l’influence exercée sur notre conduite et sur la direction de nos pensées. Le fait de comprendre n’implique pas l’éveil d’une image, mais bien l’éveil d’une tendance et sa mise en rapports avec les autres tendances et les autres faits qui composent une personnalité ou au moins avec quelques-unes de ces tendances ou quelques-uns de ces faits, la systématisation de cette tendance avec les autres, leur union en un tout organisé. Sans doute l’image vient quelquefois, souvent même, se joindre à l’éveil de cette nouvelle tendance, mais elle est un phénomène accessoire et non le phénomène principal.

Un terme abstrait comme le mot bonté ou le mot vertu désigne un caractère appartenant à des groupes de phénomènes considérés dans leurs rappports mutuels. Le mot bonté indique le caractère commun qui se retrouve par exemple dans ces deux complexus de phénomènes : le bon Samaritain recueillant un blessé sur la route, saint Martin donnant à un pauvre la moitié de son manteau. Le mot blancheur désigne ce qu’il y a de semblable dans les impressions que font sur la rétine une muraille ou une feuille de papier. Le mot vertu, le mot bonté, pour être compris, impliquent l’éveil à un degré plus ou moins faible de la tendance à réaliser par ses actes le caractère commun aux actes de bonté ou de vertu, et la rencontre de cette tendance avec les autres tendances du moi. La tendance peut être aussi faible qu’on le voudra, elle peut ne pas se manifester à la conscience, mais elle se manifeste clairement par le fait que, lorsque rien ne l’entrave, elle aboutit à l’acte. Comprendre le mot vertu, c’est éprouver à un faible degré la tendance à agir d’une manière vertueuse. Il est d’ailleurs parfaitement reconnu en psychologie que l’idée d’un acte est une tendance à l’acte. De même la compréhension d’une vertu, l’idée d’une vertu, est une faible tendance à agir selon cette vertu.

Le rôle de l’image est secondaire, avons-nous dit. M. Stricker nous donne un bon argument pour soutenir notre théorie, il se représente une mélodie sans images acoustiques, par une succession de signes moteurs. Si l’on peut comprendre un air de musique par l’éveil d’une tendance au mouvement, je ne vois rien qui empêche de comprendre n’importe quoi par l’éveil d’une tendance. Je sais bien qu’on peut faire des objections à cette manière de comprendre l’intelligence, mais je crois que ces objections pourraient être levées par un examen approfondi que je n’ai pas le temps et la place de faire ici. Je crois que les principes que j’ai indiqués peuvent utilement servir à