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PAULHAN. — le langage intérieur

les résoudre. L’image, à mon avis, est parfois le signe de la vraie compréhension, elle ne la constitue pas en réalité.

Nous pouvons d’ailleurs faire la contre-épreuve ; un sauvage ignorant ce que c’est qu’un canon peut en voir et en examiner, il peut se les représenter mentalement d’une manière très vive même, mais il n’en sera pas moins hors d’état de comprendre ce que c’est qu’un canon avant qu’il ait appris comment on peut s’en servir, c’est-à-dire avant qu’il ait à un faible degré la tendance aux mouvements appropriés pour le faire fonctionner.

Nous pouvons maintenant revenir à la considération du langage. Ce qui fait le caractère propre du langage, c’est qu’il éveille ou qu’il tend à éveiller les tendances qu’éveillerait ou que tendrait à éveiller la chose, la qualité abstraite, le caractère qu’il représente. La parole intérieure est une forme du langage, parce que les signes qui traversent la conscience sous forme d’images visuelles faibles, d’images auditives, ou d’images motrices, sont capables d’éveiller en nous les tendances, ces dispositions particulières, les impressions que déterminerait l’objet ou le caractère représenté. Mais nous voyons facilement que n’importe quel phénomène psychique pourra être considéré comme faisant partie du langage intérieur s’il peut remplir le même office et éveiller les tendances dont nous parlons, s’il peut, en un mot, représenter une manière d’être, une disposition, une tendance, s’il est associé à des complexus d’impressions ou d’impulsions.

Nous pouvons entrevoir ici une vérité que nous aurons occasion de vérifier de plus en plus : c’est que toute pensée est un langage intérieur. On a déjà soutenu cette thèse, mais on n’a voulu considérer comme langage que la représentation des mots, et on a dit alors que l’idée générale par exemple était simplement un mot. C’est là une conception trop étroite. Il y a un autre langage que le langage par mots. On reconnaît d’ailleurs le langage par signes et par gestes, nous devons reconnaître aussi la réalité du langage intérieur par les représentation abstraites. Les phénomènes intérieurs qui constituent la pensée se présentent à nous en effet comme ayant une fonction symbolique. Une idée particulière, une idée abstraite, une idée générale, tiennent lieu, dans nos opérations mentales, des sensations, des images, des émotions même et des mouvements qu’elles représentent. Nous pensons en idées, ou en mots, ou en représentations quelconques, et toujours nous opérons en agissant sur les idées, ou les mots, sur les substituts de toute nature, comme nous agissons sur les choses qu’elles représentent. Il convient de voir ce qu’on doit entendre par les idées, et quels sont les phéno-