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DIETERICH. — d. f. strauss et l’idéalisme allemand

imposée par Kant de traiter l’humanité dans notre propre personne et dans les autres non pas seulement comme un moyen, mais en même temps comme un but ? Ne reconnaissons-nous pas nettement dans la pierre angulaire de la morale de Strauss l’idée de la valeur absolue de la personnalité, de la dignité humaine dont rien n’égale le prix, cette idée que Kant et Fichte ont les premiers exprimée sous une forme claire et scientifique et qu’ils ont appuyée de toute l’autorité de leur caractère ? Strauss s’est servi d’expressions plus simples et plus populaires, mais il reproduit les pensées de ces grands hommes sans y rien changer. Et maintenant elles sont devenues le bien commun de la société moderne.

Comment l’idée générale de l’humanité se réalise-t-elle dans les rapports multiples où nous nous trouvons avec la nature, avec le monde d’objets extérieurs préexistant. Strauss impose à l’homme le devoir de connaître et de dominer la nature, ce théâtre de son activité, cet objet de ses actions. Étude de la nature, domination de la nature, ne sont-ce pas là les deux pensées célèbres de la morale de Schleiermacher, qui font époque dans l’histoire de l’éthique philosophique ? ne sont-ce pas les concepts, un peu difficiles à comprendre au premier moment, d’une activité symbolisante et organisante de la raison ou de l’esprit par rapport à la nature, qui jouent déjà un rôle important dans la théorie des biens enseignée par l’économie politique ? Sans doute le lourd appareil scientifique manque, mais Strauss aimait à revêtir ses pensées de la forme la plus légère possible.

L’homme se trouve placé par sa nature dans un grand tout ; l’individu existe seulement comme membre d’une famille, comme partie intégrante d’un peuple. Quelle importance morale est attribuée par Strauss à ces deux communautés naturelles qui enserrent l’individu depuis le commencement jusqu’à la fin de son existence ? Comment l’idée de l’humanité arrive-t-elle à se manifester dignement dans la vie de la famille, dans la vie des peuples ? Aux yeux de Strauss, le cercle sacré formé par le mari, la femme et l’enfant représente en petit l’univers moral, indique le plus manifestement la présence du divin dans le monde humain. Tout cela ne rappelle-t-il pas ce chapitre sur la famille, dans la Philosophie du droit de Hegel, qui est si beau, si profond et reflète si vivement le sentiment allemand ? Il est à peine besoin de mentionner que tout ce que Strauss dit sur la valeur d’un État national au point de vue du progrès de l’humanité, sur la majesté de la communauté morale qui, dans l’organisation politique d’un peuple, s’oppose à tout ce qui est individuel, recevrait littéralement l’approbation du philosophe politique de