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Berlin. Rarement un auteur philosophique a développé avec autant de clarté et de simplicité la conception hégélienne de l’État, et cela sans lui faire rien perdre de sa haute valeur intrinsèque.

Mais à quoi servent toutes ces belles idées, s’il ne peut plus être question de liberté. L’essor idéal de l’activité ne sera-t-il pas rendu stérile, si l’inexorable nécessité de la nature règne aussi dans le monde intellectuel avec une autorité despotique ? Strauss ne veut pas aborder la question de la liberté, parce qu’elle est la plus grande énigme de la pensée philosophique, et parce qu’une solution absolument satisfaisante de ce problème lui paraît aussi impossible à lui-même qu’elle ne l’a été aux philosophes qui s’en sont occupés depuis des siècles. Il ne rejette nullement la liberté dans toutes ses acceptions ; c’est seulement la liberté d’indifférence qu’il déclare être un vain fantôme, et il prétend avec raison que la philosophie entière confirme ce jugement. Il faut certainement lui concéder que la détermination de la valeur morale de nos actions et de nos pensées est la chose principale et que cette détermination peut être considérée comme étant indépendante de la question de la liberté. Strauss eût-il été en réalité un déterministe décidé et conséquent, — cela est possible, nous ne le savons pas, — peu importe ; Schleiermacher et les réformateurs fournissent la preuve que, même sur le terrain du déterminisme le plus rigoureux, il peut se développer une éthique absolument idéaliste en théorie aussi bien qu’en pratique.

Ainsi, en lisant attentivement la confession de Strauss, nous trouvons dans les pensées morales qui y sont énoncées la substance de ce que la philosophie idéaliste de l’Allemagne a produit dans ce domaine. La langue abstraite de l’école, les déductions pénibles et lourdes que nous sommes habitués à rencontrer chez les philosophes, y font défaut ; en revanche, une forme étonnamment claire et transparente y dénote un des meilleurs écrivains allemands. Mais pour celui qui va au fond des choses, ce langage attrayant, facile et coulant, reflète l’esprit sérieux et le grand tact moral de l’écrivain qui n’a su si bien développer et enchaîner les idées les plus précieuses de l’éthique allemande qui, après avoir pénétré dans la conscience des hommes les plus éclairés, ont porté leurs fruits dans la vie intellectuelle de la nation, que parce qu’elles étaient devenues sa propriété intime, une partie de sa conviction personnelle.

Mais si Strauss était réellement un idéaliste, pourrait-il toujours rester si profondément calme ? L’émotion de l’enthousiasme n’éclaterait-elle pas davantage dans l’exposé d’une morale qui n’était pas simplement le fruit de la pensée, mais l’expression des sentiments éprouvés ? Dans sa confession, Strauss ne voulait pas convertir ; à ceux qui