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TARDE. — problèmes de criminalité

la valeur 0,83 quand les crimes étaient jugés par des tribunaux permanents, s’est abaissé à 0,60 quand on a rétabli dans ce pays l’institution du jury français ; et de là on conclut, suivant l’intéressante remarque de M. Poisson, que la proportion des accusés condamnables a décru brusquement par le rétablissement de l’institution du jury, quoique les formes de l’instruction préliminaire soient restées les mèmes et que par conséquent la proportion des accusés réellement coupables n’ait pas dû varier sensiblement. » Cela veut dire que le jury n’a pas jugé suffisantes des preuves qui auraient suffi à la magistrature ; mais, comme il est possible que son intelligence ne lui ait pas permis d’apprécier certaines probabilités à leur vraie valeur, il a pu, tout en acquittant davantage, n’être pas plus convaincu ou même l’être moins que les magistrats ne l’eussent été quand il a condamné. Mieux vaut donc comparer les divers jurys et les divers tribunaux entre eux. De 1832 à 1880, nous voyons la proportion des accusations entièrement rejetées par le jury français, descendre petit à petit de 33 à 17 0/0. Comme il est inadmissible que ce résultat soit dû à un amoindrissement continu des exigences du jury en fait de preuves, il y a lieu de penser que les chambres de mises en accusation ont été se rapprochant chaque jour de ses exigences mieux connues, et ont inconsciemment élevé par degré le minimum de probabilité, de persuasion, requis par elles-mêmes[1]. Si maintenant nous prenons la moyenne des acquittements du jury de 1832 à 1880, moyenne qui est de 21 0/0, nous constatons qu’elle est dépassée par le jury de plusieurs départements, notamment de la Dordogne, des Pyrénées-Orientales, des Hautes-Pyrénées, où elle est de 35 à 37 0/0, tandis qu’elle est loin d’être atteinte dans le Maine-et-Loire, la Drôme, l’Ille-et-Vilaine, où elle est de 13 à 14 0/0. Cela signifie, je pense, que les jurés d’Ille-et-Vilaine, par exemple, n’ont pas besoin d’être convaincus avec la même force que ceux de la Dordogne pour se décider à rendre un verdict de condamnation.

Mais ce sont là de bien faibles inégalités, comparées à celles que d’autres rapprochements nous montrent dans le cours de la justice. Quelle distance entre les minimes présomptions dont se contente un tribunal, en temps de révolution ou de trouble, pour envoyer un

  1. Je lis dans Garofalo (Criminologia) que la cour de cassation de Naples prononce annuellement 45 annulations pour 100 pourvois, celle de Florence 9 0/0, celle de Turin 7 0/0, celle de Rome 6 0/0. — Nous voyons aussi, par notre statistique, que la proportion des acquittements en matière correctionnelle va diminuant sans cesse ; résultat dû sans doute à une influence, réciproque cette fois, du Parquet sur la magistrature et de la magistrature sur le Parquet, équilibration de croyances qui n’est pas sans rappeler l’équilibration hydrostatique des vases communiquants.