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comme conséquence dernière, du concept moral de la vie ; il ne peut pas en être le point de départ. Ni la nature, ni l’univers ne peuvent faire vibrer en Strauss la fibre religieuse ; le monde intellectuel seul a ce pouvoir ; les sentiments moraux éveillent seulement en lui une vénération religieuse pour l’univers, qui engendre un monde moral, lequel devient ainsi la source de ce qui est rationnel et bon, tandis que la nature ne nous présente que la matière dans un mouvement infini. C’est parce qu’il croit à la valeur des idées morales et des biens moraux, qu’il peut en fin de compte considérer d’un point de vue élevé l’ordre mécanique de la nature — qui paraît si brutal et si cruel à l’expérience directe — comme l’instrument d’un ordre moral universel. La croyance à un ordre moral dans la vie de l’humanité, qui fut si puissamment fortifiée dans sa vieillesse par le changement brillant dans les destinées de sa nation si rudement éprouvée, ainsi que par les enseignements moraux de l’histoire, plus frappants que jamais pendant les dernières années de sa vie, cette croyance, dis-je, le détermina à considérer l’univers, en dépit de toutes les contradictions de la vie et du destin, non comme un chaos où tout est livré au hasard, mais comme un développement qui procède, d’après des lois éternelles, de la source unique de toute raison et de tout bien. La joyeuse résignation au cours des choses, admis comme rationnel, la confiance pleine d’amour dans la source commune de tout être, considérée comme la source du bien, voilà ce qu’on désigne ordinairement sous le nom de religion. Ce qui habituellement constitue l’énergie du sentiment religieux, c’est la conviction que le mécanisme de la nature, si souvent désastreux pour les individus, est disposé de manière à produire le bien de la totalité, que le bonheur de l’individu réside surtout dans son intérieur et que nous devons vénérer le pouvoir qui dans le monde extérieur préside à l’enchaînement des causes et des effets.

Certes, Strauss ne veut pas donner à l’objet du sentiment religieux le nom de Dieu ; il l’appelle universum. Cette dérogation aux usages de la langue a éveillé à juste titre la méfiance. Quand nous nommons Dieu la cause dernière de tout être et de toute vie, nous exprimons par là que, comme Strauss, nous nous soumettons à lui avec joie et que nous éprouvons à son égard une humble reconnaissance, une confiance pleine d’amour, parce que pour nous son essence est l’ordre, la loi, la raison, la bonté et que nous sentons même avoir avec lui certains rapports intimes. La manière dont nous concevons, dont nous nous représentons les attributs de cette source obscure de toute vie, est une question accessoire. C’est avec raison que nous l’appelons divinité tant que nous avons dans notre con-