Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXI, 1886.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
DIETERICH. — d. f. strauss et l’idéalisme allemand

connaissaient déjà ses idées sur la vie il voulait montrer posément, clairement et scientifiquement quels étaient leurs fondements et comment elles s’enchaînaient. Il pensait qu’un raisonnement calme était le mieux approprié à ce but ; il croyait entraîner la conviction par la solidité et la logique du développement de sa pensée. Cependant, si l’on veut avoir une impression de la chaleur de sentiment dont Strauss était capable, quand en apparence il raisonnait si froidement, on n’a qu’à relire les paroles sur « nos grands poètes, les pères de nos idées et de nos sentiments actuels, dont nous devons écouter sans cesse les chants si sages et si doux avec ardeur et reconnaissance. » Celui qui parle ainsi d’abondance de cœur, quand il raconte ce qu’il a pensé et ressenti en lisant Lessing, Goethe et Schiller ; celui qui loue comme la qualité la plus brillante de Lessing la conformité de l’écrivain avec l’homme, de la tête avec le cœur, celui qui admire la profondeur de la pensée dans l’Éducation du genre humain et dans le testament de saint Jean, celui qui recommande Nathan le Sage comme le saint livre fondamental de la religion humanitaire et de la morale, celui-là n’a pas tout à fait renié le drapeau de l’idéalisme, sous lequel les plus grands penseurs combattaient autrefois de concert avec les poètes. Le drapeau de l’idéal dans les pensées et les sentiments, qui caractérise les plus grands chefs-d’œuvre philosophiques et poétiques de la dernière époque florissante de la littérature nationale allemande, ce drapeau-là, Strauss l’a certainement planté intact et porté ferme et haut dans le camp de la nouvelle conception du monde ou plutôt de la nouvelle conception de la nature, dans lequel on prétend qu’il a passé à un âge avancé. Nous ne pouvons pas apercevoir qu’il y ait seulement transporté quelques lambeaux. Qu’on dise où il a dérogé à la rigueur des idées morales qui l’enthousiasmaient dans sa jeunesse, en quel endroit la pureté de l’idéal de l’humanité, pour lequel il a combattu si vaillamment dans les premières années, a été ternie d’une façon quelconque.

Ce qui donne cependant, en dépit de l’idéalisme incontestable qui y domine, l’apparence d’un réalisme un peu froid à la conception de la vie de Strauss, c’est le manque apparent d’un fondement religieux. Mais si Strauss, d’accord en cela avec Kant, donne à l’éthique une base distincte, afin de la rendre indépendante des destinées de la métaphysique philosophique et religieuse, il conclut, absolument comme Kant et Fichte de l’existence certaine de maint idéal dans notre for intérieur, des idées morales admises par le sentiment instinctif du devoir, à un enchaînement métaphysique correspondant des choses, qui forme l’objet de pensées et de sentiments religieux. Pour lui, le concept religieux du monde peut seulement découler,