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de philosophe parce qu’il ne pouvait plus s’enthousiasmer dans son âge avancé, comme il l’avait fait dans sa jeunesse, pour les spéculations de la philosophie de la nature de Schelling et la phénoménologie de Hegel. Il est vrai que son esprit spéculatif se tourna, avec une certaine ardeur juvénile, vers les théories philosophiques des sciences physiques de nos jours, et se détourna de propos délibéré des questions plus profondes des sciences psychiques, particulièrement de la théologie. La raison de ce fait est cependant bien simple. Le même charme que les profondeurs de la philosophie et de la théologie spéculatives, encore enveloppées d’un voile mystique, avaient exercé, dans sa jeunesse, sur son instinct spéculatif, avide de découvertes, fut exercé sur celui-ci, dans son âge avancé, par le domaine des sciences physiques, qui lui était complètement inconnu. Depuis longtemps, au contraire, il avait étudié en critique toutes les questions psychologiques qui se rattachent d’une manière quelconque à la théologie. La sévérité avec laquelle nous jugeons certaines institutions de notre patrie se modère singulièrement quand nous les retrouvons dans un pays étranger que nous visitons temporairement ; mais cette sévérité devient facilement exagérée quand nous avons dû quitter notre patrie involontairement. Originairement, Strauss s’était livré spécialement à l’étude de la théologie et non à celle des sciences physiques ; l’amie de sa jeunesse avait la première rompu avec lui, et cette rupture avait laissé dans son cœur une plaie qui ne s’est jamais fermée.

Si Strauss à la fin de sa carrière a montré une certaine froideur à l’égard de certains problèmes difficiles de la psychologie et de la métaphysique, il n’en niait pas l’existence ; s’il a renoncé à répandre les lumières de sa raison au milieu du crépuscule du monde des sentiments esthétiques et religieux, ce n’est pas parce qu’il dédaignait ces sentiments esthétiques et religieux, ou qu’il en méconnût la valeur. La mission de l’art est de nous faire contempler ou du moins pressentir dans un cadre étroit l’harmonie de l’universum qui persiste au milieu de la confusion des phénomènes et de la lutte entre les forces de la nature. La religion nous conduit aux limites de la connaissance ; elle nous permet de jeter un coup d’œil dans un abîme qu’il nous est impossible de sonder. Il y a un côté mystique dans tout ce qui est profond dans la vie, dans l’art, dans l’organisation politique. Voilà ce que confesse expressément l’homme que l’on dit ne reconnaître aucun point obscur auquel puisse se rattacher le sentiment mystique.

Au point de vue philosophique, nous ne pouvons pas nous déclarer satisfaits d’une conception du monde où reste encore tant de